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Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada
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CHAPITRE XVIII*

DIFFUSION

RADIODIFFUSION

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AUX termes de notre mandat, nous sommes tenus d'étudier les principes dont devrait s'inspirer le régime national en matière de télévision et de radiodiffusion. À la première partie, nous avons exposé plutôt en détail les progrès de la radio au Canada, ainsi que les vues du public et des experts sur la nature et la qualité des émissions des réseaux nationaux et des postes locaux. Nous devons maintenant examiner et recommander, à l'égard de la radiodiffusion, la politique que le pays doit suivre pour assurer aux auditeurs canadiens les émissions les meilleures et les mieux conçues à tous points de vue.

2.   La radiodiffusion est de la nature d'un monopole. Quiconque en a le désir et les moyens peut écrire un livre, publier un journal ou exploiter un cinéma, mais il ne lui est pas loisible d'établir un poste de radio. Les bandes de fréquence sont limitées en nombre, et les règles ordinaires de la concurrence dans toute bande de fréquence sont impossibles. Dans le monde entier, ces bandes sont reconnues comme étant du domaine public, et nul poste de radiodiffusion ne peut fonctionner sans l'autorisation de l’État.

3.   L’État, qui a le droit et le devoir de délivrer les permis, doit donc imposer certaines conditions à la radiodiffusion. À notre avis, chaque pays a le choix entre deux lignes de conduite. D'une part, on peut considérer la radio d'abord comme un moyen de divertissement, comme une autre forme de la réclame commerciale. Cela ne veut pas dire qu'elle ne saurait servir à instruire, à éclairer et à cultiver le goût; car, pour bien des gens, c'est là aussi un genre de divertissement. D'autre part, la radio, étant l'un des plus puissants moyens d'éducation, peut être envisagée comme un facteur social trop puissant et trop délicat pour être négligé par l'État, qui, à notre époque, s'intéresse de plus en plus au bien-être de ses citoyens. Cette seconde façon d'envisager la radio suppose que ce moyen de communication est un bien public qu'il faut employer à l'avantage de la société, c'est-à-dire pour instruire, éclairer, aussi bien que divertir ses membres.

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4.   Il serait peut-être utile de voir comment ont agi d'autres nations qui ont eu à choisir entre ces points de vue, ou qui ont cherché à les concilier, bien que, ainsi que nous l'expliquions à la première partie, le problème de la radio canadienne, avec ses particularités, s'accommoderait mal d'une solution toute faite.

5.   Les États-Unis ont suivi la première des deux lignes de conduite mentionnées ci-dessus, considérant la radio surtout comme un moyen de divertissement à exploiter d'après les méthodes commerciales, subordonnément aux régies d'État fondamentales jugées essentielles dans tous les pays. Aux États-Unis, la radiodiffusion se fait presque entièrement par des postes privés, dont la plupart sont affiliés à au moins un des quatre grands réseaux nationaux. Vivant presque uniquement du fruit de la réclame, la radiodiffusion est devenue une industrie importante; en 1950, il existait plus de trois mille postes, dont les recettes brutes au chapitre de la réclame ont atteint un chiffre global dépassant 445 millions de dollars.

6.   Le gouvernement des États-Unis, ayant souscrit au principe général selon lequel les bandes de fréquence sont du domaine public, créait en 1934 la Federal Communications Commission (F.C.C.), dont les membres sont nommés par le Président et relèvent du Congrès. La F.C.C. réglemente la radiodiffusion grâce à son pouvoir d'accorder des permis, pouvoir qu'elle doit exercer en tenant compte « des besoins, de l'avantage et de l'intérêt publics ». Il lui est spécifiquement interdit d'exercer aucun pouvoir de censure. Plusieurs mesures prises par cet organisme ont soulevé des discussions et de l'opposition aux États-Unis, entre autres la réglementation du monopole des réseaux. Les règlements à cette fin furent confirmés par la Cour suprême des États-Unis en 1943. Une autre initiative qui fait présentement l'objet de controverses, c'est l'effort tenté, au moyen de principes consignés au F.C.C. Bluebook, pour assurer de meilleures émissions. Cette publication déclare, en effet, que le maintien de l'équilibre dans les programmes par la production d'une juste proportion d'émissions complémentaires ainsi que l'emploi d'artistes locaux, la discussion des questions d'intérêt public, et l'élimination de toute réclame excessive, sont d'importants aspects du service public, dont il sera tenu compte dans l'octroi ou le renouvellement d'un permis de radiodiffusion. Postes et réseaux s'opposent à cette pratique, car ils y voient une forme de réglementation indirecte des émissions. La Cour suprême des États-Unis n'a pas encore été invitée à se prononcer à ce sujet, mais on prétend que le Bluebook a eu un effet salutaire sur la qualité des émissions radiophoniques.

7.   En Angleterre, la radiodiffusion n'est pas une entreprise de réclame, mais un service assuré par une société d'État, la British Broadcasting Corporation. « L'objectif de la B.B.C. est double: donner à l'auditeur une bonne mesure de ce qu'il veut, et lui permettre, à la longue, de vouloir

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autre chose »(1). Cette entreprise publique fonctionne en vertu d'un permis du ministre des Postes et tire ses revenus des taxes sur les récepteurs qui, en 1949, ont rapporté bien au-delà de 12 millions de livres sterling. Ses publications lui assurent un revenu additionnel de plus d'un million de livres. Dans la pratique, les émissions ne font l'objet d'aucune ingérence ministérielle ou gouvernementale. La charte de cette société est étudiée périodiquement par un comité spécial nommé à cette fin et est renouvelable pour des périodes de cinq ans; il y aura révision de la charte actuelle en 1951. Au moment où nous allons sous presse, nous apprenons que le Broadcasting Committee des Communes anglaises, qui avait été institué en juin 1949, a exprimé le vœu que l'on maintienne le régime actuel de radiodiffusion en Angleterre. Le rapport de ce Committee a été publié en janvier 1951 [sic].

8.   Comme l'Angleterre, la France possède un régime radiophonique d'État. Celui-ci, toutefois, ne relève pas d'une société constituée en corporation; il est dirigé par un administrateur général relevant du cabinet du président du Conseil. Les postes privés, qui existaient avant la seconde guerre mondiale, furent réquisitionnés après la libération. L'objectif ultime, mais qui apparemment n'est qu'en partie réalisable pour le moment, est d'assurer aux auditeurs le choix entre deux séries parallèles d'émissions dans toute la France et un programme supplémentaire dans la région parisienne. La Radiodiffusion française n'accepte aucune réclame et les auditeurs paient un droit de permis, comme en Grande-Bretagne.

9.   Le régime australien ressemble un peu à celui du Canada en ce sens qu'il comporte des postes d'État et des postes privés. Les débuts de la radiodiffusion australienne remontent à environ 1924, alors que des permis furent accordés à deux genres de postes, les postes « B » d'ordre purement commercial, et les postes « A », qui ne toléraient qu'une réclame réduite mais étaient subventionnés à même les droits de permis. Depuis lors, le ministère des Postes a pris sous son contrôle tous les postes « A ». Ceux-ci n'acceptent plus de réclame, et leurs émissions sont planifiées par l'Australian Broadcasting Commission, composée de sept membres nommés par le gouverneur général. La Commission reçoit une subvention du Parlement, laquelle est partiellement remboursée à même les droits de permis. Le ministère des Postes fournit les services techniques.

10. En 1948, il y avait en Australie trente-neuf postes d'État et cent deux postes privés. Les postes d'État donnent un service satisfaisant dans les régions populeuses, mais n'atteignent, à l'intérieur, qu'une partie de la population. En 1948, une loi établissait l'Australian Broadcasting Control Board, qui est entré en fonctions l'année suivante. Cet organisme relève du ministère des Postes et réglemente, sous la direction du ministre, tant les émissions que les aspects techniques de la radiodiffusion. Il semble avoir pour mission d'assurer un service satisfaisant et de meilleures émissions dans tout le pays. Il peut même, avec l'approbation du ministre,

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offrir une aide financière aux postes commerciaux pour l'amélioration de leurs émissions. L'un des moyens d'y parvenir, semble-t-il, consiste à confier aux postes privés des émissions émanant de l'Australian Broadcasting Commission. Autant que nous ayons pu nous en assurer, il n'a pas encore été possible à l'Australian Broadcasting Control Board d'exercer, à l'égard de la radiodiffusion australienne, cette mesure de réglementation qui en avait d'abord motivé la création. Il semble juste d'affirmer que le régime australien en est encore au stade expérimental.

11.   Ainsi, sur quatre grands pays du monde occidental, seuls les États-Unis estiment que la radiodiffusion est d'abord une entreprise industrielle; en Grande-Bretagne et en France, c'est une institution de responsabilité publique; l'Australie a hésité entre ces deux solutions et, dans ce pays, la question a été fort controversée.

12.   Nous croyons que, depuis vingt ans, le Canada ne s'est pas écarté du principe selon lequel la radiodiffusion est une institution de responsabilité publique. Nous avons mentionné, à la première partie, le principe préconisé dans le Rapport Aird de 1929, où, en partant de l'hypothèse que « les auditeurs canadiens veulent une radiodiffusion canadienne », on déclarait que, même si l'initiative des exploitants de postes particuliers assurait au public des émissions gratuites, la radiodiffusion canadienne accusait d'autre part une tendance à pousser la réclame à l'excès, à importer la plupart de ses émissions de l'extérieur et à s'intéresser surtout aux centres urbains. Les auteurs de ce rapport soulignaient l'importance d'atteindre le plus grand nombre de gens possible, de donner des émissions variées où l'information et l'éducation s'ajoutent au divertissement, de pratiquer l'échange d'émissions entre les diverses parties du pays, et, de façon générale, d'orienter les initiatives de radiodiffusion « dans l'intérêt des auditeurs canadiens et dans l'intérêt du Canada en tant que nation ».

13.   Cette analyse de la situation et cet exposé de principe furent suivis de recommandations en faveur d'un régime de radiodiffusion possédé et régi par l'État. Les recommandations du Rapport Aird furent adoptées pour la plupart, et les principes à la base du système canadien, qui font l'objet d'une loi, ont été confirmés d'année en année par dix commissions spéciales de la Chambre des communes et par les avis de radiophiles désintéressés. Le régime recommandé au pays par la Commission Aird est devenu le plus grand facteur d'unité, de compréhension et d'éducation nationales. Mais, après vingt ans, le moment est arrivé d'exposer de nouveau les principes, — tacitement acceptés durant tant d'années —, dont s'inspire la radiodiffusion canadienne, et de chercher à déterminer ce que ce régime a valu au pays.

14.   Nous avons déjà parlé, dans la première partie, de la très grande importance de la radiodiffusion au Canada, faisant remarquer que les régions isolées du pays qui en ont le plus besoin ne sauraient en bénéficier

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que sous un régime national. Comme nous le disions aussi, à notre avis le régime national a répondu à l'attente de ceux qui l'ont conçu. Nous croyons que, malgré des faiblesses et des lacunes inévitables dont nous parlerons plus loin, ce régime a dépassé tout ce qu'on pouvait raisonnablement en attendre; il est devenu, avons-nous constaté, une source de satisfaction et de fierté pour les groupes qui représentent vraiment les radiophiles canadiens; et nous pouvons ajouter ici que nous partageons tout à fait leurs sentiments.

15.   Au début de la radiodiffusion, le Canada était vraiment menacé d'annexion culturelle par les États-Unis. Les mesures prises à l'égard de la radiodiffusion par des gouvernements émanant de tous les partis ont permis au pays de conserver son identité culturelle. Toutefois, la radio canadienne a fait bien davantage. Elle a préparé la voie à une connaissance et une entente mutuelle qui paraissaient impossibles quelques années plus tôt. Les Canadiens, en tant que peuple, ont écouté les nouvelles de leur propre pays et du monde entier, ont entendu nos experts traiter des questions d'intérêt public, ont assisté ou participé à la discussion de problèmes canadiens et ont pu également, grâce à la radio, prendre part aux grandes manifestations nationales. Tout cela est tellement évident, aujourd'hui, qu'on oublie facilement combien en ont bénéficié plus particulièrement les nombreux Canadiens qui vivent plus ou moins isolés, privés de journaux et dont les rapports avec le monde extérieur sont très réduits.

16.   L'excès d'esprit régionaliste n'est pas encore éteint au Canada, mais il est sûr que, grâce à l'énergie qu'elle a déployée en vue d'organiser des émissions particulières d'intérêt régional et des conférences appropriées, ainsi qu'en présentant une foule de Canadiens d'origines diverses à leur concitoyens, Radio-Canada a contribué pour beaucoup à nous rapprocher les uns des autres. De l'île Vancouver à Terre-Neuve et du fleuve Mackenzie à la frontière, les Canadiens ont pris conscience de leur unité et de leur diversité.

17.   Mais l'unité nationale et la connaissance de notre pays ne sont pas les seuls objectifs à atteindre. Ces buts importants sont aussi un moyen d'accéder à la « jouissance paisible des choses que nous chérissons », pour rappeler la parole de saint Augustin, que nous citions au début du présent volume. Nous nous intéressons donc aussi à la radiodiffusion parce qu'elle assure à tous les citoyens de nouvelles sources de délectation dans les domaines des arts, des lettres, de la musique et du théâtre. Grâce à une compréhension et une appréciation plus grande de ces choses, les Canadiens deviennent de meilleurs citoyens, car ils élargissent ainsi le champ de leurs préoccupations intellectuelles; ils atteignent à un plus haut degré d'unité parce qu'ils participent ensemble à un plus grand nombre de choses.

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18.   Cette interprétation du principe ou de l'objet de la radiodiffusion canadienne détermine, à notre avis, la ligne de conduite du Canada dans ce domaine. D'autres pays préféreront peut-être accorder les permis à des postes privés dont les revenus proviennent de la réclame. Il est indéniable que cette méthode peut produire d'excellentes émissions, et les Canadiens profitent de bon nombre de programmes de ce genre, émanant des États-Unis. Mais elle peut aussi donner naissance à de nombreuses émissions d'un niveau inférieur et de nature à déformer le goût public. Au Canada, (bien que nous soyons prêts à admettre dans une proportion raisonnable les programmes de pur amusement, y compris ces émissions américaines, que nous importons constamment), nous sommes contraints, en raison de notre situation géographique et de certaines conditions sociales et économiques, d'exploiter systématiquement les possibilités plus sérieuses de la radiodiffusion, dans l'intérêt des auditeurs canadiens et de la nation canadienne. Aussi avons-nous conçu notre propre régime national, régime différent de ceux des États-Unis et de tout autre pays, et que notre Commission croit admirablement bien adapté à nos besoins propres.

19.   Ce régime, toutefois, a ceci de tout à fait particulier qu'il perpétue l'existence, dans ses cadres, de postes « privés », « commerciaux » ou «  locaux », pour les désigner par leurs diverses appellations. Radio-Canada avait et a encore le droit de prendre à son compte tous les postes privés, et pendant quelque temps ceux-ci ont mené à cause de cela une existence plutôt précaire. Toutefois, on s'est bientôt rendu compte que ces pionniers de la radiodiffusion s'étaient taillé une place dans leurs milieux respectifs, et qu'ils pouvaient rendre d'importants services au pays. Il semblait préférable, dans l'intérêt national, que Radio-Canada recommandât le renouvellement de leurs permis et les considérât comme partie intégrante du régime national.

20.   Nous avons exposé en détail, à la première partie, la distribution compliquée des postes en postes « de base » et postes « supplémentaires », ainsi que toutes ces questions complexes qui se posent au sujet des émissions « commerciales » et des émissions « complémentaires ». Il suffira donc de parler ici des fonctions du poste privé. Dans notre vaste pays, le rayonnement de la radio est encore insuffisant; sans ces voies de communication supplémentaires qu'offrent les postes privés, bien des régions seraient privées des émissions nationales de Radio-Canada et ne pourraient être desservies que moyennant une dépense additionnelle considérable de deniers publics. Outre ce service national direct, les postes privés rendent aux diverses collectivités des services qui, ainsi qu'ils le font si bien observer, sont d'importance nationale: la réclame commerciale est en elle-même un service précieux pour la collectivité; les nouvelles locales, l'information et le soutien d’œuvres méritoires constituent des services essentiels, comme en font foi les témoignages de plusieurs groupements et

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particuliers. Le poste local a pour troisième fonction d'encourager les artistes de la région et de leur permettre de développer leur talent. Ainsi que nous l'avons dit à la première partie, cette troisième fonction a été négligée, d'une façon générale.

21.   La plupart des postes privés ont prospéré au sein du régime national. Outre leurs propres émissions, plusieurs d'entre eux ont bénéficié des deux genres d'émissions de Radio-Canada, émissions commerciales et émissions complémentaires. Il est vrai que tous n'en ont pas bénéficié également. Toutefois, il est indéniable que le nombre, l'importance et la prospérité des postes privés ont considérablement augmenté depuis 1932; et la plupart d'entre eux reconnaîtront d'emblée que cette augmentation est attribuable au moins en partie à leur incorporation dans le régime national de la radiodiffusion.

22.   C'est peut-être cette croissance numérique et cette prospérité accrue qui ont porté les postes privés à multiplier les revendications au sujet de leur statut. Au cours des trois années 1946-1948, les recettes globales d'exploitation des postes privés sont passées d'environ dix millions à plus de quatorze millions de dollars; durant cette même période, Radio-Canada a vu ses recettes d'exploitation passer de six à sept millions et demi, soit un peu moins de la moitié des recettes des postes privés. À la fin de 1948, ces derniers possédaient un actif global de vingt-sept millions. En trois ans, le nombre des postes privés est passé de 88 à 109, tandis que leur capital global s'est accru de sept millions, dont une large part semble représenter de nouveaux engagements de capitaux. En 1948, l'actif global des postes privés était trois fois plus considérable que celui de Radio-Canada.

23.   Ce mouvement de prospérité a sans doute inspiré, dans une certaine mesure, les démarches que la Canadian Association of Broadcasters (C.A.B.) a faites en 1943, 1944, 1946, et 1947, en vue d'obtenir que le règlement régissant la radiodiffusion soit modifié de manière à tenir compte du rôle que, dans l'esprit de leurs propriétaires, les postes privés jouent maintenant dans le domaine de la radiodiffusion au Canada.

24.   Plus tard, en septembre 1949, et de nouveau en avril 1950, les représentants de la Canadian Association of Broadcasters, qui groupait alors quatre-vingt treize des cent dix-neuf postes privés, se sont présentés devant notre Commission pour exposer leurs vues sur la radiodiffusion au Canada et sur le statut de leur groupe. Voici, en quelques mots, leur thèse: avant l'établissement du régime d'État, en 1932, il existait soixante-dix postes privés. Ce régime ne les a pas spécifiquement abolis et, depuis, on a accordé des permis à plusieurs nouveaux postes. Les représentants de la Canadian Association of Broadcasters estiment donc qu'il est maintenant juste de dire que la loi a créé non pas un régime national exclusif, mais un nouveau régime d'État, tout en reconnaissant l'existence d'un régime de postes privés.

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25.   Se fondant sur cette interprétation, la Canadian Association of Broadcasters s'élève contre la réglementation des postes privés par le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada, société d'État qui leur fait concurrence. Elle a cité des exemples de cette concurrence: on accuse, par exemple, Radio-Canada d'avoir dépensé $22,000 en six mois pour obtenir des émissions de réclame locale dans la région de Toronto. Cette concurrence agressive constitue, dit-on, une preuve qu'il existe vraiment deux régimes et qu'il est injuste de permettre à l'un d’eux de régir et de réglementer l'autre.

26.   La réglementation de la radiodiffusion se fait surtout au moyen de règles fixées et appliquées par le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada. Les règlements dont on se plaint portent sur la régie des émissions en réseau, le droit d'exiger des postes privés affiliés aux réseaux qu'ils réservent du temps aux émissions nationales, la réglementation des méthodes de réclame, les restrictions quant à l'emploi de disques ou autres enregistrements. On s'oppose également aux règles régissant les émissions de caractère politique, prescrites par la loi existante. On se plaint surtout de ce que Radio-Canada « ... soit à la fois concurrente et régisseur, qu’elle puisse intenter des poursuites et servir en même temps comme jury et juge  ». Les postes privés peuvent même être subitement privés des avantages que représentent pour eux les émissions commerciales et complémentaires de Radio-Canada si celle-ci décide d'établir un poste puissant dans leur voisinage.

27.   La Canadian Association of Broadcasters déclare que ses membres ne se plaignent pas d'avoir été traités sans égards ou injustement, mais qu'au contraire ils reconnaissent l'existence de relations cordiales avec le Bureau des gouverneurs et les fonctionnaires de Radio-Canada; toutefois, ajoutent-ils, « un maître généreux et bon ne saurait guère remplacer des droits égaux et régulièrement établis ». Étant donné qu'à leur avis la loi sur la radiodiffusion se prête à deux interprétations contradictoires (d'une part un seul régime national de radiodiffusion, et de l'autre, des réseaux d'État fonctionnant en même temps qu'un certain nombre de postes privés), ils voudraient que cette loi fût clarifiée; ils croient, en outre, qu'il y aurait lieu de la refaire de façon « à pourvoir à la réglementation de tous les postes de radiodiffusion, ceux de Radio-Canada comme les autres, par un organisme distinct, complètement impartial, et n'ayant rien à voir au fonctionnement de la Société Radio-Canada ».

28.   Ce mémoire soumis de la part de quatre-vingt-treize postes associés a été appuyé par vingt propriétaires de postes de radio, qui sont venus témoigner séparément. Sept autres exploitants de postes privés se sont prononcés en faveur du régime actuel et contre tout changement, dans l'ordre des principes. L'un d'eux a déclaré: « Je crains moins Radio-Canada, telle qu'elle existe présentement, qu'un régime de postes privés libre de toute restriction — beaucoup moins ».

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29.   Nous tenons à rendre hommage à la franchise et à la clarté dont les propriétaires de postes privés ont fait preuve dans l'exposé de leurs vues. Mais il est bien évident, d'après ce qui précède, que nous n'acceptons pas leurs conclusions. Nous croyons que la loi canadienne sur la radiodiffusion envisage et prévoit effectivement un seul régime national; qu'on n'a accordé des permis aux postes privés uniquement parce qu'ils peuvent jouer un rôle utile au sein de ce régime; et que la régie exercée par Radio-Canada à l'égard des émissions en réseau, de l'octroi et du renouvellement des permis, de la réclame et de toutes autres questions se rapportant à la radiodiffusion, est la conséquence normale du pouvoir de réglementation dont jouit notre radio d'État sur toute radiodiffusion faite au pays.

30.   Le principal grief des propriétaires de postes privés se fonde, croyons-nous, sur la supposition erronée qu'au Canada, la radiodiffusion est une industrie. À notre avis, la radiodiffusion est, au Canada, un service d'État dirigé et régi dans l'intérêt public par un organisme comptable au Parlement. Il est permis aux particuliers d'y consacrer leurs capitaux et leurs énergies, subordonnément au règlement établi par cet organisme. Évidemment, ces citoyens ont droit à un traitement juste et équitable, ainsi qu'à une marge suffisante de sécurité ou de compensation pour ce qui est des fonds qu'on leur permet de placer dans ce secteur de l'activité nationale. Nous nous proposons de formuler des recommandations à ce sujet dans le présent Rapport. Mais nous n'admettons pas qu'il existe un droit reconnu de participer à la radiodiffusion en tant qu'industrie, ni que ceux qui y ont engagé des fonds jouissent d'un statut autre que celui de participants au régime national de radiodiffusion.

31.   Avant 1919, il n'existait au Canada aucun titre de propriété dans aucun secteur de la radiodiffusion, et les citoyens n'avaient aucun droit dans ce domaine. De 1919 à 1932, les citoyens ont obtenu, en vertu de permis, le droit de radiodiffuser. En 1932, le Parlement du Canada, qui avait seul le droit de légiférer au sujet de ce moyen de communication, chargeait une commission de « s'occuper de la radiodiffusion au Canada » en vertu d'un régime qui prévoyait la subordination des postes privés et leur absorption éventuelle. En 1936 la Société Radio-Canada était constituée afin «  d'instituer un service radiophonique national dans les limites du Dominion du Canada...  ». Elle se vit confier à cette fin, vis-à-vis des postes privés, les pouvoirs même qui font maintenant l'objet de griefs. Les postes privés n'ont de statut qu'au sein du régime national de radiodiffusion. Ils n'ont aucun droit civil ni aucun droit de propriété pour ce qui est de la radiodiffusion elle-même. Ils ont obtenu, dans l’intérêt national, un privilège dont ne jouissent pas leurs concitoyens, et ils fondent maintenant leur demande d'égalité par rapport à leurs « concurrents » sur les nombreux avantages matériels que leur a valus ce privilège. L'affirmation, selon laquelle le Bureau des gouverneurs de la Société Radio-Canada serait à la fois leur juge et leur concurrent en affaires, est une

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interprétation de notre régime national qui n'a pas de fondement juridique, à laquelle ni les commissions parlementaires ni le public en général n'ont souscrit jusqu'ici. Le Bureau des gouverneurs est l'autorité nationale; c'est sous sa direction que les postes privés exercent leurs privilèges et c'est avec lui qu'ils doivent s'entendre.

32.   Nous tenons d'autre part à reconnaître pleinement le rôle important que jouent les postes privés dans notre organisation nationale de radiodiffusion. Nous ferons des recommandations en vue de supprimer certaines anomalies dont ils se sont plaints avec raison. Mais nous nous opposons catégoriquement à tout compromis quant au principe sur lequel repose et doit reposer notre régime. De tous les éléments qui ont contribué à créer et à maintenir le sens de l'unité canadienne, la radio est sans doute le plus important. Elle peut être un puissant facteur d'avilissement ou d'amélioration du niveau intellectuel et du goût de la population. Convaincus que la radio est chez nous un instrument essentiel d'unité, d'éducation générale et de culture, nous ne saurions accepter de propositions susceptibles de compromettre les principes qui sont à la base du régime national actuel de radiodiffusion.

33.   Cela ne veut pas dire que nous le considérons comme la perfection même, ni que nous ne comprenons pas l'importance de chercher, par tous les moyens possibles, à améliorer davantage les émissions. C'est un point que nous n'avons pas perdu de vue dans l'élaboration de certaines recommandations subséquentes d'ordre financier, et dans la mise au point de propositions relatives à l'organisation des émissions. Toutefois, nous sommes convaincus que la ligne de conduite préconisée par les postes privés aurait pour effet de favoriser, dans les émissions radiophoniques, des tendances commerciales déjà trop prononcées et dont on s'est plaint abondamment. Nous avons constaté particulièrement que, parmi les représentants de postes privés qui sont venus témoigner devant nous, peu nombreux sont ceux qui ont reconnu d'autre responsabilité vis-à-vis du public que celle de fournir des émissions récréatives acceptables et d'assurer certains services à la collectivité. L'attitude générale, c'est que l'État peut, s'il le désire, subventionner les « émissions culturelles », mais qu'il doit laisser les postes privés libres de poursuivre leurs initiatives commerciales, subordonnément aux seules restrictions imposées par la morale et le bon goût. Nous ne critiquons pas cette attitude nettement commerciale; nous nous bornons à la citer pour démontrer que ceux qui partagent ces vues ne s'intéressent pas tout d'abord au rôle national de la radio. De fait, la Canadian Association of Broadcasters n'a pas mentionné l'amélioration des émissions nationales comme l'une des raisons de réorganiser le régime national ou d'accorder tel ou tel avantage à des groupes commerciaux.

34.   On nous a fait des observations au sujet de trois aspects importants de la radio canadienne, et nous nous proposons de formuler des recom-

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mandations dans ces trois domaines. Le premier, c'est le mode de régie et de direction à adopter au Canada; le deuxième, l'attribution à Radio-Canada de fonds suffisants pour ses initiatives; et le troisième, la production d'émissions d'intérêt national et les moyens à employer pour que la radio joue vraiment un rôle national au Canada

RÉGIE ET DIRECTION DE LA RADIODIFFUSION AU CANADA

Organisme distinct de réglementation.

35.   Les exploitants de postes privés voudraient tout d'abord que, pour remplacer la régie actuellement exercée par le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada, un nouvel organisme distinct fût institué et chargé de réglementer toute la radiodiffusion au Canada. Les opinions se partagent quant à l'étendue des pouvoirs à lui conférer. D'aucuns prétendent qu'il devrait jouir de pouvoirs égaux à ceux du présent Bureau des gouverneurs; d'autres lui confieraient un rôle analogue à celui de la Federal Communications Commission des États-Unis. D'autres estiment cependant qu'une telle réglementation serait peut-être encore trop rigoureuse. Cette opinion a d'ailleurs été émise aux États-Unis par un certain nombre d'exploitants de postes américains.

36.   Nous avons étudié ces propositions et sommes d'avis qu'elles auraient pour effet soit de diviser et de détruire le régime national actuel de réglementation, soit simplement de le dédoubler. Toute mesure législative tendant à instituer un organisme de réglementation distinct modifierait le régime national actuel et créerait deux groupes indépendants de postes de radiodiffusion, l'un public et l'autre privé. Radio-Canada n'aurait plus le contrôle des bandes libres qui sont essentielles pour assurer à la radio un rayonnement national. Il y aurait peut-être moyen de surmonter cette difficulté particulière, mais Radio-Canada se verrait tout de même privée des débouchés également indispensables qu'offrent: les postes privés lorsqu'il s'agit d'assurer la diffusion à l'échelle nationale dans les circonstances actuelles. En outre, si les deux groupes de postes étaient placés sur un pied d'égalité, il serait impossible de refuser aux postes privés l'avantage de se constituer en réseaux, avec les conséquences que nous mentionnerons plus loin. Un organisme absolument distinct et qui traiterait les postes d'État et les postes privés avec l'impartialité d'un tribunal détruirait à coup sûr le régime sur lequel nous pouvons compter en ce moment pour transmettre des programmes d'intérêt général dans tous les coins du pays.

37.   Mais, dira-t-on, cet organisme aurait le pouvoir d'améliorer et non de détruire. Il pourrait s'intéresser aux émissions des postes d'État et des postes privés, tout en s'efforçant d'élever le niveau des unes et des

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autres dans l'intérêt du public. Bien que cela puisse sembler possible en principe, nous doutons fort que, dans la pratique on obtienne ainsi des résultats positifs.

38.   Il est vrai; comme nous l'avons fait observer, que la Federal Communications Commission des États-Unis cherche à relever le niveau des émissions en établissant les principes d'une saine radiodiffusion. Il y a, toutefois, trois points qu'il ne faut pas perdre de vue. Premièrement, les principes en eux-mêmes sont plutôt évidents et reflètent d'ailleurs les normes en cours. Deuxièmement, au lieu de donner aux postes des instructions précises pour les porter à améliorer leurs propres émissions, on procède au moyen de menaces voilées, en leur laissant entendre que leurs permis ne seront renouvelés que si leurs émissions atteignent un certain niveau indéfini. Une telle sanction n'est évidemment applicable que dans les cas les plus flagrants. Le régime actuellement en vigueur au Canada autorise et va même jusqu'à inciter un comité de la Chambre des communes à exercer, tous les ans ou tous les deux ans, sur Radio-Canada les pressions nécessaires dans ce sens. Troisièmement, l'application de normes minima, de la façon précitée, permettrait peut-être d'améliorer les moins bonnes émissions des postes privés, mais elle serait inutile dans le cas des émissions de Radio-Canada. Le public s'attend, et avec raison, que les normes soient plus élevées pour les émissions de l’État que pour les émissions privées. Or, comme l'organisme de réglementation tout à fait distinct devrait traiter tout le monde sur un même pied, son activité pourrait fort bien avoir pour effet de ramener Radio-Canada à des normes commerciales relativement peu élevées, plutôt que d'améliorer la qualité des émissions de Radio-Canada aussi bien que celles des postes privés.

39.   Peut-être certains de ceux qui préconisent la création d'un organisme de réglementation distinct supposent-ils qu'il lui incomberait d'assurer les bandes de fréquence et les débouchés nécessaires aux émissions complémentaires nationales. Or il y a incompatibilité totale entre ce concept et l'idée d'un organisme de réglementation distinct assurant l'équilibre entre les postes d'État et les postes privés. L'organe de réglementation ne serait plus alors qu'un agent de Radio-Canada chargé d'assurer la diffusion des émissions nationales. Il aurait, de fait, les mêmes pouvoirs et les mêmes responsabilités que l'actuel Bureau des gouverneurs de Radio-Canada.

40.   Nous ne pouvons donc que revenir à l'affirmation selon laquelle le nouvel organe de réglementation détruirait le présent régime national de régie, ou ferait double emploi avec celui-ci. Pour que le régime national subsiste si, par hypothèse on instituait un organisme distinct, ce dernier ne pourrait faire que ce que le Bureau des gouverneurs est censé faire en ce moment. Et, s'il n'amenait pas la disparition du régime national,

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il ne saurait être réellement « l'organisme distinct et complètement impartial, n'ayant aucun rapport avec Radio-Canada » que réclame la Canadian Association of Broadcasters.

41.   Aucun des témoignages recueillis n'indique que le Bureau des gouverneurs ait usé de ses pouvoirs sévèrement ou injustement. En eût-il ainsi usé, il y aurait plutôt lieu de chercher à l'améliorer que de vouloir créer un second organisme. Mais nous sommes absolument d'avis que, étant donnée la place qu'occupe la radiodiffusion dans notre vie nationale, et étant données surtout les possibilités nouvelles et même inquiétantes de la télévision, on ne doit rien épargner pour rendre le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada aussi efficace que possible. Ses membres devraient être assez nombreux pour représenter vraiment toutes les parties du pays et il devrait se composer de personnes en mesure, par suite de leurs connaissances, de leur expérience ou de leurs goûts, non seulement de maintenir mais d'améliorer les normes actuelles de radiodiffusion au Canada, tant sur le plan national que sur le plan local. Nous sommes fermement convaincus de l'importance de retenir, à cette fin, les services de personnes compétentes et en état de consacrer à ces fonctions tout le temps et toute la réflexion nécessaires.

En conséquence nous recommandons :

a) Que l'octroi du privilège de radiodiffusion au Canada continue de relever du Gouvernement canadien; que la direction du régime national de radiodiffusion continue d’incomber à un seul organisme comptable au Parlement; que la Société Radio-Canada, telle qu'elle est présentement constituée, soit cet organisme et qu'elle continue d'assurer, directement par ses propres initiatives et indirectement par la réglementation de l'activité des autres, un régime national de radiodiffusion libre de toute ingérence politique.
 
b) Que les cadres du Bureau des Gouverneurs soient élargis, afin qu'il soit plus largement représentatif.

Réseaux de postes privés.

42. Nous avons aussi reçu de certains exploitants de postes privés, ainsi que de la British Columbia Association of Broadcasters, une demande en vue de la suppression des restrictions à la constitution de réseaux privés, demande que l'association nationale, la Canadian Association of Broadcasters, n'a pas soumise formellement. À l'heure actuelle, les postes privés peuvent, en vertu d'autorisations spéciales, constituer des réseaux locaux, et quelques-uns ont la permission de s'affilier à des réseaux américains; mais on n'a pas abandonné le principe général selon lequel les postes privés ne peuvent fonctionner que sur le plan régional et à titre de débouchés pour les émissions nationales.

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43.   Les postes privés prétendent que la suppression des restrictions à la constitution de réseaux éliminerait le gaspillage attribuable au dédoublement des émissions, favoriserait l'unité régionale et permettrait d'améliorer les programmes et d'employer plus d'artistes locaux. À ceux qui prétendent que leurs émissions laissent à désirer, ils répondent, règle générale, qu'en l'absence des avantages qu'offrirait un réseau, leurs recettes diminuent, ce qui influe, par conséquent, sur la qualité de la production.

44.   La formation de réseaux permet évidemment de réduire les frais d'exploitation et par conséquent, en principe, d'améliorer les émissions. Nous avons observé, toutefois, que quelques-uns des postes privés les plus riches ont les plus piètres émissions et négligent gravement leurs obligations en tant que parties du régime national. Le représentant de l'un des postes privés a déclaré que le meilleur moyen de relever le niveau culturel au Canada serait de tirer fortement parti « de la culture dont l'évolution est la plus rapide au monde, celle des États-Unis ». Bien que nous refusions de croire que la plupart des propriétaires de postes privés partagent cet avis précité, nous croyons que tous les réseaux canadiens de postes privés deviendraient inévitablement de petits chaînons des réseaux américains.

45.   Il y a aussi deux autres facteurs importants à considérer. Le premier, c'est que la formation de réseaux empêcherait automatiquement les postes privés de servir de débouchés pour les émissions nationales et romprait ainsi (comme nous venons de le mentionner à un autre point de vue) le régime national actuel. Le second, c'est que les réseaux ainsi constitués mettraient les postes privés, vis-à-vis de Radio-Canada, dans des conditions de concurrence commerciale sur le plan national, dont les conséquences seraient semblables à celles dont les exploitants de postes privés ont eu à se plaindre sur le plan local.

46.   La radiodiffusion par des réseaux privés aurait, à notre avis, d'une façon générale, le même effet que l'institution d'un organisme de réglementation distinct. Elle détruirait le régime national.

En conséquence nous recommandons :

c) Qu'aucun poste de radiodiffusion privé ne fonctionne au Canada en tant que partie d'un réseau sans l'autorisation préalable de la Société Radio-Canada.

Manière de procéder du Bureau des gouverneurs et droit d'appel.

47.   Dans l'intérêt du régime national et du pays tout entier, nous recommandons qu'il ne soit pas fait droit aux demandes des exploitants de postes privés relatives à l'institution d'un organisme de réglementation distinct et au privilège de constituer des réseaux privés. Mais nous reconnaissons en même temps l'importance du rôle que les postes privés ont

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joué et jouent encore dans le domaine de la radiodiffusion au Canada; et nous croyons éminemment souhaitable que des personnes, qui ont des intérêts dans l'exploitation d'un service national essentiel, aient l'assurance d'être traitées avec la plus entière justice, droit dont jouit effectivement tout citoyen canadien. À l'heure actuelle, lorsque le Bureau des gouverneurs songe à recommander la suspension d'un permis ou la modification des règlements, il en prévient les postes privés et leur donne l'occasion d'exposer leurs vues eux-mêmes ou par l'entremise de leurs avocats, en audience publique s'ils le désirent. Ces concessions sont accordées à titre de privilèges. Or il faudrait, en toute justice, que ces privilèges fussent pleinement reconnus comme des droits.

48.   Aucune disposition de la loi actuelle ne prévoit d'appel des décisions du Bureau des gouverneurs de Radio-Canada. Il est vrai que, sur certaines questions, la décision finale incombe au ministre des Transports ou au gouverneur en conseil et que, de façon générale, Radio-Canada est comptable au Parlement et doit répondre de ses actes aux commissions spéciales qui sont établies de temps à autre. Mais, sauf ces exceptions, il n'existe ni procédure ni droit d'appel, et les décisions du Bureau des gouverneurs sont définitives.

49.   Nous croyons qu'il devrait exister un droit d'appel. D'une part, ce droit ne doit modifier en rien la responsabilité de Radio-Canada en matière de réglementation et de contrôle de la radiodiffusion à l'échelle nationale. D'autre part, il devrait offrir un moyen de réparer les injustices marquées. Nous ne voulons nullement restreindre le pouvoir que possède Radio-Canada de réglementer la radiodiffusion au Canada, mais nous estimons que l'application honnête et impartiale de ses règlements devrait être assurée grâce à un droit d'appel à un tribunal fédéral, dont pourraient se prévaloir les personnes directement et défavorablement atteintes par les décisions définitives du Bureau des gouverneurs, décisions rendues sous l'empire de ces règlements.

En conséquence nous recommandons :

d) Que l’on reconnaisse aux personnes s'adonnant à la radiodiffusion au Canada le droit d'être prévenues que le Bureau des gouverneurs de la Société Radio-Canada se propose d'examiner des questions qui les intéressent directement, le droit d'avoir toute la latitude possible pour exposer leurs vues sur ces questions, en personne ou par l'entremise de leurs avocats, et le droit de réclamer et d'obtenir une audience publique.
 
e) Que les personnes s'adonnant à la radiodiffusion au Canada, qui sont directement et défavorablement atteintes par une décision définitive du Bureau des gouverneurs de la Société Radio-Canada, dans tout domaine où ce bureau décide en dernier ressort, aient le droit d'en appeler à un tribunal fédéral de tout sérieux déni de justice.

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Stabilité du permis.

50.   Outre les griefs particuliers qui peuvent surgir de l'état de choses actuels et auxquels on veut remédier par ce droit d'appel, les postes privés nous ont mentionné un autre point. Ils prétendent que la durée incertaine de leurs permis est une source de soucis constants. Cette situation date des débuts de la radio nationale, alors qu'on estimait désirable pour la nation d'assumer le plus tôt possible la régie et la propriété de tous les postes de radio. Il fut une époque où, conformément à cette ligne de conduite, les permis de radiodiffusion commerciale n'étaient accordés que pour un an. Ils valent maintenant pour trois ans, conformément au respect des règlements. Les lois de la radiodiffusion et les règlements qui en découlent ne sont ni clairs ni uniformes en ce qui concerne la révocation des permis; cependant, certaines dispositions tendent à accorder de vastes pouvoirs au ministre quant à l'annulation des permis, et à la Société Radio-Canada en ce qui concerne leur suspension pour trois mois. Les postes privés se plaignent de ce qu'ils considèrent comme un pouvoir inutilement absolu et arbitraire. Mais on ne nous a signalé aucun cas où cet état de choses ait nettement donné lieu à de sérieuses difficultés.

51.   Il nous semble souhaitable que les permis des postes privés ne puissent être subordonnés, même en principe, à une annulation soudaine et arbitraire. L'extension de la durée de ces permis constituerait vraiment une amélioration. Le titulaire devrait pouvoir avoir l'assurance que le permis confère un privilège dont le citoyen respectueux des lois pourra jouir durant toute la période prévue.

En conséquence nous recommandons :

f) Que les permis des postes privés-commerciaux de radiodiffusion continuent d'être incessibles et de ne conférer aucun droit de propriété, mais qu'à l'avenir ils soient accordés pour une période de cinq ans, sauf le droit d'annulation pour négligence à observer certaines conditions clairement établies.

Réclame locale.

52.   Les exploitants de postes privés nous ont aussi signalé la ligne de conduite suivie par le Bureau des gouverneurs en ce qui concerne l'acceptation et même la sollicitation de réclame commerciale locale par les postes placés sous sa régie immédiate, c'est-à-dire par les postes de Radio-Canada. Les problèmes d'ordre financier auxquels Radio-Canada doit faire face lui ont imposé cette ligne de conduite. Toutefois, cette pratique empiète d'une façon certaine sur le domaine ordinairement réservé aux postes privés dans le régime national. Bien que nous ayons démontré que l'affirmation selon laquelle « Radio-Canada ne doit pas réglementer ses concurrents » repose sur une fausse conception de la radiodiffusion au Canada, nous sommes convaincus que ce genre particulier de concurrence au sein du régime national n'est pas dans l'intérêt public.

*Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé.

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