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Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada
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CHAPITRE II*

LES INFLUENCES DU MILIEU GÉOGRAPHIQUE

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LES Canadiens, avec leur optimisme habituel, croient peut-être tenir entre leurs mains le destin de leur civilisation. En quoi ils ont raison. Toutefois, notre jeune nation, qui lutte pour se réaliser, évolue sous l'influence de trois conditions, si familières qu'on est trop souvent porté à en méconnaître l'importance. La population du Canada est restreinte, disséminée sur un immense territoire; elle s'agglomère sur la frontière d'un autre pays beaucoup plus populeux et beaucoup plus puissant dans le domaine économique. La majorité des Canadiens partagent leur langue maternelle avec ces voisins, ce qui favorise l'établissement de rapports étroits et continus. On peut constater de nos jours l'existence d'une ou de deux de ces conditions dans plusieurs pays. Seul le Canada, cependant, les réunit toutes trois. Quel en est l'effet, bon ou mauvais, sur ce que nous appelons le canadianisme ?

2.    De toute évidence, les immenses ressources de notre pays constituent un avantage matériel, bien qu'un tel avantage n'aille pas sans un certain péril à notre époque. L'immensité de notre territoire lui confère, par ailleurs, un certain cachet d'immatérialité. Le Bouclier canadien, dans sa vaste et mystérieuse étendue, domine les régions dispersées du Canada. L'au-delà arctique, enveloppé d'un mystère plus impénétrable encore, presse, cerne les régions civilisées. Personne, à moins d'être insensible, ne peut penser sans une certaine émotion à la beauté grandiose de notre hinterland. L'artiste, comme le prospecteur, en est touché. Les peintres, les poètes, qui traduisent en traits vigoureux et originaux les aspects de leur pays, ont suscité dans le cœur des Canadiens un sentiment de fierté discrète à l'égard de ce qui passe encore, même dans ce vingtième siècle surpeuplé, pour “une grande étendue solitaire”.

3.   Mais en même temps que son amour pour le pays et ses vastes espaces, le Canadien éprouve aussi fortement la fierté de son entourage immédiat, que la géographie et l'histoire ont souvent marqué de façon diverse. Au cours de nos voyages, nous avons été frappés de la différence de traditions, d'atmosphère, qui existait entre certaines régions telles les provinces atlantiques, par exemple, les provinces des Prairies et la Colombie-Britannique. L'existence même de ces régions contribue puissamment à maintenir la

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variété et la richesse de la vie canadienne; elle permet d'espérer une résistance effective à l'uniformisation, menace grave qui plane sur la civilisation moderne. D'autre part, une telle diversité n'est nullement incompatible avec un esprit vraiment canadien. Au contraire, elle a inspiré le peintre et le poète, aussi bien que l'immense décor de notre pays a pu le faire. Le régionalisme sincère, sans exagération, contribue d'autant à fortifier notre civilisation canadienne.

4.   D'autre part, l'isolement, dans notre vaste pays, a sa rançon. “L'art est une communication”. L'artiste a contribué à la création d'un esprit canadien. Mais, pour travailler profitablement, il doit communiquer avec sa collectivité, se tenir en rapport avec ses collègues et les critiques. En outre, il a besoin d'un appui matériel que seule en général une collectivité de quelque importance peut lui fournir. Le Canada a relié son territoire par des voies de communication physique très coûteuses. Mais, pour utiliser ces voies, il faut payer un prix que l'artiste, encore moins facilement que le commerçant ou l'industriel, ne peut supporter. Le problème nous a été exposé dans tous ces détails, en particulier par des groupes importants du littoral du Pacifique. Là, comme dans les provinces Maritimes, les gens savent ce qu'il en coûte de vivre dans l'isolement.

5.   Même l'activité journalière de la vie civilisée en souffre. Dans un petit pays, à la population dense, il est assez facile de constituer et de maintenir des groupements d'envergure nationale qui se consacrent à la peinture, aux lettres, à la musique, à l'architecture, au théâtre et à d'autres secteurs semblables de l'activité humaine. Au Canada, tous les rassemblements d'envergure nationale, quel qu'en soit l'objet, exigent beaucoup de temps, coûtent très cher. Pourtant, notre régionalisme les rend doublement nécessaires. Il serait facile de citer plusieurs groupements recommandables dont l'activité manque de ressort, de cohésion, parce qu'ils n'ont pas les moyens d'établir une permanence ni de tenir des réunions régulières et nombreuses. Les groupements commerciaux, comprenant le problème, y mettent le prix. Les sociétés bénévoles le comprennent également mais, faute de ressources suffisantes, elles doivent se résigner à une efficacité restreinte.

6.   L'isolement qui résulte des conditions de notre existence influe également sur le fonctionnement des institutions de l'État. Dans un pays comme le nôtre, bien des gens vivent loin de la capitale nationale et des autres grands centres. Il importe, cela va de soi, de les faire bénéficier autant que possible des services des institutions nationales établies à Ottawa. Tous en ont reconnu la nécessité, sauf quelques groupements métropolitains fortement attachés aux intérêts urbains. S'efforçant, avec de maigres ressources, de s'acquitter des tâches premières pour lesquelles elles ont été créées, nos institutions d'ordre national sont exposées quelquefois à croire qu'elles ont bien servi le Canada quand elles ont rempli leurs devoirs purement administratifs à Ottawa. Ce danger, ceux qui vivent dans des endroits éloignés

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et qui savent combien les services nationaux sont nécessaires, en sont bien conscients. « Nous avons trouvé bien amusant, a déclaré un groupement des Prairies, de lire, sous la rubrique: Musée national, qu'il est situé dans un endroit central, facile d'accès par autobus et tramway . . . Faut-il prendre cette affirmation au sérieux ? »(1). Cette boutade a servi d'entrée en matière à une discussion très profitable sur les avantages qu'une telle institution nationale pourrait offrir au reste du pays. La responsabilité est évidente; elle est acceptée intégralement. La difficulté qui se pose est mesure de la rançon de l'existence dans un pays d'une telle étendue, d'une telle configuration.

7.   Outre ces problèmes qui tiennent à notre dispersion, nous vivons à côté d'un pays immense, riche, dont une grande partie ne nous est fermée par aucune barrière physique, auquel nous sommes unis non seulement par les liens du langage mais par ceux de la tradition. Langues et traditions nous unissent d'autre part à deux mères patries dont nous sommes isolés du point de vue géographique. Au surplus, sur ce continent, notre population s'étend en un long ruban étroit, — encore n'est-il pas continu, — le long de la frontière, soit 14 millions d'habitants sur un front de cinq mille milles. Pour faire face aux influences d'outre-frontière, pénétrantes autant qu'amicales, nous n'avons même pas l'avantage de ce que les militaires appellent la défense en profondeur.

8.   De ces influences, nous avons tiré une foule d'avantages : dons en argent dépensés au Canada, subventions permettant à des Canadiens d'étudier à l'étranger, jouissance à titre gratuit de tous les services de plusieurs institutions que nous ne pouvons nous donner, importation d'une foule de précieux articles que nous ne pourrions guère produire nous-mêmes. Nous y avons beaucoup gagné. Il serait peut-être juste, à l'occasion de ce relevé préliminaire de notre vie culturelle canadienne, de nous demander si nous n'y avons pas gagné un peu trop.

9.   Nous devons beaucoup à la générosité américaine. Nous avons reçu de l'argent d'organismes tels la Carnegie Corporation, qui a dépensé $7,346,188 au Canada depuis 1911, et la Dotation Rockefeller, qui nous a versé la somme de $11,817,707 depuis 1914 (2). Nous bénéficions également de l'aide d'autres institutions telles la Dotation Guggenheim et l'American Association for the Advancement of Science. Grâce aux libéralités de ces organismes, bien des gens ont pu s'adonner à un travail créateur ou poursuivre leurs études dans un domaine particulier. Ces largesses, utilisées presque dans tous les cas avec sagesse et imagination, ont permis à des Canadiens de suivre leur voie et d'améliorer notre « canadianisme ». Le don de bibliothèques à des régions rurales éloignées ou à des institutions d'enseignement peu fortunées témoigne également de la grande variété des faveurs de nos voisins. Sans le concours financier des États-Unis, plusieurs des institutions indispensables de nos jours à toute nation n'auraient pu être établies et maintenues. D'autre part, les bourses d'études générales,

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les bourses avec fonctions d'adjoint, les bourses pour études dans un domaine déterminé, en permettant à des étudiants canadiens de poursuivre leur formation dans des universités américaines, sans qu'on y tienne compte le moindrement de la différence de nationalité, ont fortement contribué au perfectionnement de nos jeunes gens de talent.

10.   Nous utilisons en toute liberté les services des institutions américaines. La similitude de nos modes de vie, les rapports étroits et amicaux, individuels ou collectifs, qui existent entre gens cultivés des deux pays nous y encouragent. Tous ces organismes sont entièrement à notre disposition, non seulement les universités et les services d'enseignement post-universitaire mais aussi les écoles spécialisées de toutes sortes, les écoles de bibliothéconomie, de beaux-arts, de musique, d'art dramatique, les grandes institutions nationales, tels les bibliothèques, les musées, les archives, les centres de recherches scientifiques et d'érudition (3). Nous recourons aussi à divers services d'information américains tout comme s'ils étaient à nous. De plus, parmi les gens cultivés, il y en a peu qui n'appartiennent à quelque société culturelle américaine.

11.   Enfin, nous bénéficions d'une importation considérable de ce qu'on pourrait familièrement appeler la production culturelle américaine. Nous importons des journaux, des livres, des cartes et une quantité infinie de matériel scolaire. Nous importons également le fruit du talent artistique soit en accueillant des troupes ou des artistes ambulants, soit au moyen de films, de disques ou d'émissions radiophoniques. Chaque dimanche, des milliers de Canadiens écoutent à la radio la symphonie de New-York, passent ensuite à la lecture du plus récent livre du mois américain, acceptant ainsi d'être pour autant redevables à une culture étrangère.

12.   Même si ces dons américains sont avantageux en soi, il ne s'ensuit pas qu'ils l'aient toujours été pour les Canadiens. Il n'y a guère lieu de nous flatter de l'encouragement que nous avons nous-mêmes donné aux arts. Serait-ce qu'à côté de la munificence d'un Carnegie ou d'un Rockefeller, notre concours paraîtrait si faible qu'il ne vaut guère la peine qu'on l'apporte? Avons-nous appris, à tort, de nos voisins à nous reposer sans nécessité sur le secours des gens riches ? Cette même disposition à compter sur les autres se décèle dans un autre domaine. Le Canada envoie un certain nombre d'étudiants à l'étranger, grâce, la plupart du temps, à une bourse d'études offerte par d'autres pays. Les bourses que le Canada offre aux étrangers sont très rares; il n'en avait offert aucune jusqu'à une date très récente. Peut-être nous sommes-nous laissés tenter par une générosité un peu trop accessible; cela nous place cependant dans une situation indigne de nous, indigne de nos ressources véritables et du prestige dont nous jouissons.

13.   Le Canada, d'ailleurs, a payé cher cette disposition à se reposer trop facilement sur la charité des autres, surtout la charité des Américains. Tout

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d'abord, plusieurs de nos meilleurs étudiants, au terme de leurs études dans des institutions américaines, acceptent des emplois aux États-Unis et ne nous reviennent pas. Les États-Unis adoucissent sagement la rigueur de leurs lois de l'immigration à l'égard de tous les membres des “professions savantes”, ce dont ils profitent. Nos voisins sont dans une situation qui leur permet de choisir les meilleurs parmi les étudiants étrangers qu'une générosité prévoyante attire dans leurs universités. Naturellement, ils choisissent plusieurs Canadiens, soit parce que ceux-ci sont très nombreux, soit parce qu'ils s'adaptent mieux que d'autres à la vie américaine.

14.   En retour de la générosité des Américains qui s'offrent à instruire ses citoyens, le Canada cède au pays d'outre-frontière jusqu'à 2,500 hommes et femmes de professions libérales chaque année (4). De plus comptant dans une trop grande mesure sur les bourses américaines, en ce qui a trait aux études supérieures dans le domaine des humanités et des sciences sociales surtout, le Canada a laissé s'affaiblir ses propres universités, qui manquent non seulement d'argent mais surtout du plus indispensable personnel versé dans ces disciplines : « La générosité américaine nous a aveuglés sur nos propres besoins. Du point de vue culture, nous nous sommes nourris de la munificence de nos voisins. Nous nous demandons ensuite, piteusement, pourquoi nous n'avançons pas plus vite dans le domaine artistique. » Cette observation, c'est la Conférence nationale des universités canadiennes qui l'a formulée dans son mémoire (5).

15.   La question de l'appauvrissement de nos universités canadiennes, par suite de l'insuffisance de nos efforts pour garder nos étudiants au pays, nous amène à celle, plus générale, de notre disposition à nous reposer sur les États-Unis du soin de satisfaire à plusieurs de nos besoins d'ordre intellectuel. Très peu de Canadiens se rendent compte des effets de cette attitude. Qu'un raz de marée s'abatte sur nos voisins, nous savons que notre vie économique en serait toute désorganisée. Mais, dans d'autres domaines, savons-nous jusqu'à quel point nous comptons sur les autres ?

16.   Une telle catastrophe hâterait sans doute la constitution d'une bibliothèque nationale dont le besoin se fait sentir depuis si longtemps. Toutefois, sans les innombrables documents bibliographiques qui nous viennent des États-Unis, la tâche serait très difficile et la bibliothèque serait privée de plusieurs livres canadiens inestimables qu'on peut se procurer aux États-Unis seulement. D'ailleurs, il serait difficile de constituer le personnel voulu puisque n'existent pas, au Canada, les moyens de dispenser la formation supérieure en bibliothéconomie. Sans doute la Conférence nationale des universités canadiennes dresserait-elle en toute hâte des plans en vue de perfectionner notre enseignement post-universitaire. Car l'envoi d'un grand nombre d'étudiants en Angleterre et en France serait très coûteux. L'établissement de diverses écoles d'art spécialisées serait indispensable. Il serait également nécessaire de s'occuper des études supérieures, des travaux de

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recherches et des publications d'ouvrages d'humanités et de sciences sociales car, à l'heure actuelle, ces initiatives dépendent presque entièrement de la générosité américaine. De fait, un organisme canadien, qui travaille dans ce domaine, reçoit des États-Unis tout l'appui dont il dispose.

17.   Il n'est peut-être pas hors de propos, dans cet aperçu général de l'influence américaine sur notre vie culturelle, de signaler que cette influence pénètre jusqu'à un point extraordinairement avancé dans une zone qui dépasse les limites de notre enquête mais qui y est étroitement lié. Tout instituteur canadien de langue anglaise qui veut se perfectionner ou avancer dans sa profession fait presque invariablement le pèlerinage au Teachers College de Columbia University ou à une autre des cinq ou six institutions américaines du même genre. Puis, il revient au pays occuper un poste supérieur dans les écoles élémentaires et “high schools”, ou enseigner dans nos écoles normales, ou collèges de pédagogie. Combien de Canadiens se rendent compte que, dans plusieurs régions du Canada tout au moins, les écoles acceptent implicitement de New-York des directives qu'elles ne songeraient pas à prendre d'Ottawa ? Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur la qualité de ces directives, mais nous pouvons formuler deux observations d'ordre général : d'abord, les Américains eux-mêmes s'accommodent de moins en moins volontiers de ce régime. En second lieu, notre recours aux institutions américaines, et notre imitation paresseuse et même un peu veule de ces institutions nous a conduits à accepter sans discernement des idées et des hypothèses étrangères à notre tradition. Sans l'hospitalité des Américains, nous aurions peut-être été forcés, au Canada, de rechercher des idées et des méthodes d'enseignement plus conformes à notre propre mode de vie.

18.   On pourrait ajouter que nous aurions été contraints à produire notre propre matériel d'enseignement : livres, cartes, documentation iconographique et le reste. En ce moment, dans les milieux anglais d'éducation au Canada, nous comptons beaucoup trop sur les États-Unis dans ce domaine. Les textes servant aux écoles primaires et secondaires sont parfois rédigés au Canada, mais les instituteurs se plaignent de ce qu'une trop forte partie du matériel complémentaire soit d'origine américaine, signalant que les renseignements et directives qui s'y trouvent, s'ils conviennent aux écoliers américains, ne sont pas du tout appropriés aux petits Canadiens. Voici un exemple qui démontre bien que même les meilleurs textes américains ne peuvent convenir aux Canadiens. On nous a signalé, dans un mémoire, que sur trente-quatre élèves de huitième année d'une école canadienne, dix-neuf étaient parfaitement au courant de la signification du 4 juillet, tandis que sept seulement connaissaient celle du 1er juillet.

19.   Dans les universités, la situation est beaucoup plus grave. Comme le nombre d'étudiants qui fréquentent les universités canadiennes est relativement restreint et que les maisons d'édition américaines, dont les marchés

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sont immenses, sont facilement accessibles, on s'approvisionne généralement de livres et de manuels aux États-Unis. Il n'est pas sans intérêt de noter que nous avons entendu un homme de science se plaindre énergiquement des manuels américains :

« Pour ce qui est des personnes et de l'antériorité, les auteurs américains sont fortement enclins à favoriser les Américains. Cela ne signifie pas qu'ils déformeront les faits, cependant, en mentionnant les noms de personnes et d'industries américaines et en omettant celui des autres, il est facile de brosser un tableau tout à fait inexact. On ne favorise guère l'essor d'un véritable canadianisme en exposant continuellement les étudiants canadiens à cette influence (6) »

20.   Dans d'autres domaines, c'est moins de parti pris dont on se plaint que de la différence de points de vue. Pour ce qui est de l'histoire, par exemple, comme on utilise des ouvrages et des manuels américains, nos professeurs éprouvent beaucoup de difficulté à préparer des cours qui ne se donnent habituellement pas dans les universités américaines. Aux degrés inférieurs, les cours d'histoire du Canada posent des problèmes particuliers, car les éditeurs américains jugent que la demande insuffisante ne justifierait pas la publication de manuels et de cartes. Il convient de souligner encore une fois que nous avons grandement bénéficié de bon nombre de produits américains; cependant, comme nous avons laissé toute initiative en cette matière à nos voisins, nous ne pouvons satisfaire à nos besoins particuliers.

21.   Bien qu'au Canada de langue française la différence de langue constitue une certaine protection, ailleurs dans le pays l'usage inconsidéré des institutions américaines d'éducation et, par conséquent, l'adoption de la conception américaine de l'éducation et aussi l'usage que nous faisons de ce que les Américains appellent « aides à l'enseignement », ont certainement contribué à rendre nos régimes d'enseignement moins canadiens, moins appropriés à nos traditions, nous portant à négliger la valeur des ressources qu'offrent nos deux cultures. C'est dire aussi, (et ce point nous intéresse directement) qu'un grand nombre de nos meilleurs instituteurs de langue anglaise, qui sont non seulement des instituteurs, mais des dirigeants dans leur milieu, ont reçu aux États-Unis la dernière partie de leur formation, et c'est souvent celle dont l'influence est la plus grande. Cette formation peut être excellente en soi, mais nous avons certes le droit de souhaiter que les hommes et femmes appelés à exercer une si grande influence sur la vie des Canadiens aient la possibilité de se réunir et travailler ensemble dans quelque institution nationale dont le corps professoral pourrait être cosmopolite, mais qui serait en état de mettre au premier plan les intérêts et les problèmes canadiens.

22.   La question des manuels scolaires, dont nous venons de parler, démontre que, si les importations américaines peuvent nous être utiles, elles peuvent aussi être nuisibles. Mais ce n'est là qu'un aspect du problème plus vaste que suscite l'importation culturelle de caractère massif. Nous avons

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traité plus haut des tournées de concerts au Canada organisées au delà de nos frontières. Elles ont du bon, pour autant qu'elles permettent aux Canadiens d'entendre d'éminents musiciens. Cependant, afin d'entendre des artistes réputés, les abonnés doivent aussi souffrir bien des inconnus dont plusieurs, s'ils n'étaient pas favorisés par cette puissante organisation, ne sauraient rivaliser, nous dit-on, avec les artistes canadiens. Le pauvre artiste canadien, pour avoir son tour, est donc forcé de se rendre outre-frontière, ce qui n'est pas la solution la plus heureuse ni pour lui ni pour ses concitoyens.

23.   Tout Canadien réfléchi se reconnaît une dette envers les États-Unis pour ce qui est de films, d'émissions radiophoniques et de périodiques excellents. Cependant, le prix que nous payons au point de vue national est peut-être excessif. Nous nous étendrons davantage, par la suite, sur la question du cinéma et de la radio; signalons, en passant, que si notre réseau national diffuse, le dimanche, l'émission de musique symphonique de New-York, il transmet aussi, le jour, maints « opéras-savons ». En ce qui concerne les périodiques, nous recevons plusieurs publications américaines dignes d'estime, mais aussi beaucoup d'autres de valeur nettement inférieure, qui menacent, comme on nous l'a signalé, de submerger complètement nos publications canadiennes. Voici les remarques que formule à ce sujet la Société des écrivains canadiens :

« Une culture canadienne d'inspiration anglaise et française n'atteindra jamais le niveau que nous lui souhaitons, aussi longtemps que des mesures appropriées n'auront pas été prises contre l'envahissement de la presse canadienne par l'une des formes les plus détestables de la production écrite des États-Unis, aussi longtemps que des milliers de pages made in United States seront reproduites telles quelles par les journaux de langue anglaise ou traduites pour les lecteurs de langue française, aussi longtemps que les pulp magazines et les petits ouvrages de même nature entreront ou seront distribués sans restriction comme ils le sont présentement au Canada » (.7).

24.   La Canadian Periodical Press Association s'exprime de la même façon. Au cours de la dernière génération, nos périodiques ont maintenu et consolidé notablement leur position malgré la concurrence écrasante qu'ils doivent surmonter. Les revues canadiennes ont réussi, en dépit de grandes difficultés, à atteindre un tirage annuel de près de 42 millions, mais le nombre de revues américaines vendues au Canada dépasse 86 millions. « Le Canada, disait l'un des membres de l'Association, est le seul pays d'importance dont la population lit plus de périodiques étrangers que de périodiques publiés au pays même, à l'exclusion des journaux locaux »(8). D'autre part, les périodiques canadiens ne peuvent pénétrer dans le marché américain, car il semble que les Américains ne soient pas assez bien renseignés sur le Canada pour faire cas des publications canadiennes. Nos périodiques sont

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donc limités au Canada, où le marché est restreint, n'est aucunement protégé et ne comprend que neuf millions de lecteurs de langue anglaise. Il ne faut pas oublier que leurs concurrents desservent 160 millions de lecteurs sur l'ensemble du continent nord-américain (9).

25.   L'invasion américaine par le moyen du film, de la radio et des périodiques est formidable. Une bonne partie de ce qui nous vient ainsi a de la valeur, comme nous l'indiquerons plus loin. On nous a signalé, cependant, que bien des émissions radiophoniques n'ont aucune signification particulière au Canada et ne tiennent nullement compte des conditions existant au pays; quelques-unes, notamment certaines émissions policières et horrifiantes à l'intention des enfants, sont réellement nuisibles. De même, les commentaires d'actualité et les émissions en direct émanant des réseaux américains sont spécifiquement préparés pour des auditeurs américains; il est donc à peu près certain qu'ils seront partiaux, soit par les renseignements qu'ils donnent ou omettent, soit en raison des opinions exprimées. Nous croyons légitime de rapporter ces remarques sur la radio américaine sachant que bon nombre d'émissions de cette provenance, et la radio américaine en général, ont récemment fait aux États-Unis l'objet de critiques sévères. Tous conviendront, croyons-nous, que les Canadiens devraient s'efforcer d'éviter, dans le domaine de la radio et de la télévision, au moins ce genre de faiblesses qui ont soulevé aux États-Unis les critiques les plus énergiques et les plus acerbes (10).

26.   L'influence américaine sur le mode de vie du Canada est pour le moins impressionnante. Loin de nous la pensée de priver les Canadiens de la liberté de s'en prévaloir. L'échange culturel est excellent en soi. Il élargit le choix du consommateur et fournit au producteur une concurrence stimulante. On ne saurait nier, cependant, qu'une proportion exagérée de productions venant d'une même source étrangère peut étouffer au lieu de stimuler nos propres efforts créateurs; si nous acceptons tout passivement, sans établir des normes de comparaison, nous risquons d'atrophier nos facultés critiques. Nous consacrons présentement des millions de dollars au maintien d'une indépendance nationale qui n'aurait aucune signification si la vie culturelle des Canadiens n'était pas solidement assise et bien distincte. Nous avons constaté que nos traditions et notre histoire renferment les éléments de cette vie culturelle; nous avons réalisé d'importants progrès, souvent grâce à la générosité des Américains. Cependant, nous ne devons pas nous aveugler au point d'oublier le danger toujours présent d'une dépendance permanente.

[page 22 blanche]

*Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé.

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