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Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada
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LA PEINTURE*

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1.   Dans plusieurs chapitres antérieurs, nous avons mentionné le très vif intérêt que les Canadiens portent aux beaux-arts, et en particulier à la peinture. Toutefois, nous avons jusqu'ici considéré les choses plutôt du point de vue de l'amateur, du « consommateur ». Passons maintenant aux «  producteurs », aux peintres eux-mêmes, qui nous ont démontré que la peinture canadienne est vraiment « en marche », pour reprendre un mot prononcé au cours de nos audiences à Montréal. C'est avec un grand intérêt que nous avons recueilli les opinions de ces peintres qui ont bien voulu nous exposer le mouvement progressiste de leur art et la façon dont ils s'efforcent, par l'intermédiaire de la peinture, de traduire certaines qualités intangibles, certains caractères impondérables de notre paysage et de notre société.

2.   La collaboration des peintres au travail de la Commission a été spontanée. Elle s'est manifestée tour à tour d'une façon collective et individuelle. La Royal Canadian Academy of the Arts nous a présenté ses vues, de même que le Canadian Group of Painters, le Conseil canadien des arts et la Federation of Canadian Artists. Des groupes de jeunes artistes et de peintres amateurs sont venus expliquer non seulement les tendances de notre peinture contemporaine mais les divers problèmes qui se posent à l'artiste canadien. Enfin, nous devons à deux personnalités canadiennes de premier plan, une du Canada de langue française et l'autre du Canada de langue anglaise, des études spéciales sur la peinture canadienne, dans lesquelles nous puisons largement pour la rédaction des notes qui suivent.

LES TENDANCES ACTUELLES DE LA PEINTURE CANADIENNE

3.   D'éminentes autorités en la matière nous ont exposé leurs vues sur les lignes générales de direction que notre peinture a suivies, sur les influences canadiennes et étrangères qu'elle a subies, sur sa qualité actuelle et son orientation probable à l'avenir. Nous avons été frappés de l'accord remarquable de ces témoins, qui venaient pourtant de régions différentes et qui n'appartenaient pas aux mêmes cercles de critique.

4.   La première école de peinture véritablement canadienne a été, on ne l'ignore pas, le « Groupe des Sept »; c'est dans l'œuvre de ce groupe que commence à poindre une « manière » particulière aux peintres canadiens. C'est grâce à l'effort commun de ces artistes qu'on a senti, pour la première fois, une volonté d'expression originale et un souci de perfection artistique qui est devenu le dénominateur commun de tous nos peintres, quelle que soit l'école à laquelle ils se rattachent.

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5.   Pour bien saisir la signification du Groupe des Sept, il faut sans doute considérer attentivement l'œuvre des peintres distingués qui l'ont précédée. Morrice et quelques-uns de ses prédécesseurs et contemporains furent de grands peintres canadiens; seulement, ils travaillaient isolément et leur réputation personnelle n'entraînait pas la reconnaissance d'une peinture distinctement canadienne. De plus, Morrice, par sa formation, par son genre d'existence et même par ses sujets, appartenait encore plus à la peinture internationale qu'à la peinture canadienne. Morrice est mort à Tunis. Il est peut-être symbolique que Tom Thomson, qui avait des attaches si étroites au Groupe des Sept et qui fut l'un de ceux dont les œuvres contribuèrent le plus à la formation de cet esprit nouveau qu'on a appelé le naturalisme romantique, se soit noyé dans l'un de ces lacs du Grand Nord canadien, dont il sut si bien exprimer le caractère particulier.

6.   Nous avons eu l'avantage, non seulement d'entendre parler du Groupe des Sept, mais d'entendre ce groupe lui-même dans la personne de l'un de ses premiers membres, M. Arthur Lismer, qui, pour expliquer et évaluer l'importance de l'œuvre accomplie par ses collègues, nous a déclaré :

« Si l'œuvre du Groupe des Sept eut quelque mérite, c'est que ce groupe réunissait des hommes, venus de régions et de préoccupations bien diverses, et qui immédiatement après la guerre de 1914 éprouvèrent le désir de donner au peuple canadien une représentation visuelle, nouvelle et révélatrice, de ce pays pour lequel ils avaient lutté. Nous comprîmes que notre devoir était de faire voir aux gens l'aspect véritable de notre terre canadienne, de leur faire comprendre qu'il n'y avait pas là simplement une contrée à exploiter industriellement... Des hommes tels que Thomson, Jackson et Harris, avec leur vision particulière du Nord canadien, étaient des pionniers d'un genre nouveau » (1).

7.   Le Groupe des Sept se rattachait à la tradition descriptive et romantique. C'est dire que, tout en se soumettant d'abord à l'essentiel de l'objet, il conservait la liberté de suggérer, à la fois par l'intermédiaire et au delà de l'objet immédiat, la grandeur et l'âpreté du paysage canadien. Certains peintres actuels, notant les mauvaises imitations de cette manière, signalent qu'elle peut réduire la peinture à la simple observation statique et passive du monde extérieur, à une sorte de copie desséchée. Il ne faut pas, pour autant, nier l'influence profonde que cette manière a exercée sur la formation d'une école de peinture de grande valeur et nettement canadienne. À l'origine, cette école ne comprenait que des peintres de langue anglaise. Lorsqu'elle devint le Canadian Group of Painters, elle admit des artistes de langue française, préoccupés eux aussi, avant tout, de nature et d'atmosphère canadiennes.

8.   Ce n'est cependant pas dans cette direction que nos peintres de langue française apporteront leur véritable contribution originale à la peinture canadienne. Cette contribution est plutôt le fait d'un groupe de

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jeunes peintres de Montréal, qui, vers 1940, subirent profondément l'influence de certains artistes étrangers. Les expositions se multiplient; des discussions passionnées s'élèvent auxquelles le public finit inévitablement par être mêlé. C'est alors que M. Alfred Pellan rentre au Canada, après une douzaine d'années de séjour à Paris, où il a déjà acquis une belle réputation grâce à ses œuvres hardies et fraîches. Et sa première exposition canadienne est à peine terminée qu'il va de l'avant, se met à former des élèves, essaie de nouvelles formules.

9.   Cette nouvelle école s'éloigne du naturalisme romantique pour se diriger vers certaines formules qui sont en vogue dans des pays plus avancés. La mort, en 1942, de Clarence Gagnon, qui représentait le naturalisme romantique dans ce qu'il avait de plus élevé et de plus soigné, marque sans doute la fin d'une époque. M. Lismer lui-même, que nous avons déjà cité à son titre de membre du Groupe des Sept, nous a parlé de la nouvelle école. Il nous fit remarquer que les peintres du Groupe des Sept, pionniers d'une école de peinture véritablement canadienne, avaient senti le besoin de s'éloigner des villes. Leur mérite essentiel avait été de voir et de faire voir le sens du paysage canadien. Mais leurs successeurs, tout en conservant le souci traditionnel de perfection technique, s'intègrent dans la société et intègrent leur art dans la vie canadienne. Ils s'intéressent moins à l'édification d'un art canadien; l'important, à leurs yeux, c'est que l'art soit pratiqué au Canada. « Leurs œuvres émergent d'un nouvel esprit canadien, au lieu de surgir simplement de la contemplation du paysage canadien » (2).

10.   Cette façon très fine et très désintéressée d'apprécier une école de peinture aux antipodes de sa propre manière, chez un peintre canadien d'une génération précédente qui a donné le meilleur de son talent dans d'autres directions, est, à notre point de vue, très significative. Elle est le signe d'une continuité dans la tradition picturale du Canada, qui dépasse toutes les chicanes d'écoles. L'auteur de l'une de nos études spéciales corrobore la position prise par M. Lismer à l'égard de la nouvelle école, lorsqu'il écrit que l'influence internationale n'a pas été l'adversaire d'un canadianisme vigoureux; au contraire, des circonstances nationales et internationales ont créé un nouvel art canadien. À l'audience de Montréal, un jeune peintre a souligné cette vérité, en ces termes :

« La peinture canadienne n'est canadienne qu'à la condition d'être d'abord de la peinture; c'est-à-dire qu'elle relève de l'esprit qui est transcendant au sujet, qui dépasse le sujet. L'œuvre prévaudra par la valeur humaine de l'impression qu'elle créera et non pas par le sujet » (3).

La nouvelle école comprend des peintres de langue anglaise aussi bien que de langue française, bien que les spécialistes notent des différences entre les uns et les autres. Les premiers, nous dit-on, traduisent plus facilement une expérience intellectuelle et l'incertitude de la vie moderne.

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Les seconds expriment avec plus de bonheur la joie de vivre, de penser et de sentir. Mais ils sont tous également éloignés de l'ancienne formule du naturalisme interprétatif. Il semble donc, assure-t-on, que la peinture canadienne cherche sa voie définitivement en dehors de la nature et que, malgré cela, elle n'en soit pas moins de chez nous.

1l.   Nous avons, il va sans dire, appris avec intérêt le rayonnement de notre peinture à l'étranger. L'école des naturalistes romantiques a bien servi le Canada dans les autres pays. Elle a provoqué l'admiration des connaisseurs à l'Exposition de Wembley en 1924-1925 et à l'Exposition du Jeu du Paume à Paris en 1927. Nos peintres actuels ne cherchent plus à exploiter la nouveauté du paysage canadien. Notre jeune peinture, préoccupée de formes et de couleurs, est jugée sur un pied d'égalité avec la peinture moderne des autres pays. Le prestige esthétique du Canada n'y perd rien si l'on en juge par le succès de l'exposition Pellan, à Paris avant la guerre, par celui plus récent de l'exposition LaPalme à Rome et aussi à Paris. C'est surtout par sa peinture que le Canada brille dans le domaine des arts à l'étranger aussi bien que chez lui, et aucun des spécialistes qui se sont présentés devant la Commission n'a fait entendre la moindre note discordante sur la valeur éminente de notre peinture, autant comme témoignage canadien que comme réussite artistique.

LES PROBLÈMES DU PEINTRE CANADIEN

12.   Et cependant, le peintre canadien se voit en face de très graves problèmes. La peinture n'est pas encore devenue complètement, chez nous, un élément généralisé de culture, ce dont souffrent et le peintre canadien et la population en général. La peinture canadienne ne jouit pas d'une considération suffisante, ni auprès des milieux officiels ni parmi les particuliers. Il en résulte que, en dépit de l'exubérance qui règne chez les peintres et d'importants groupes d'amateurs, il existe de sérieuses lacunes dans le système des relations unissant le peintre canadien et son milieu national. Les musées, nous l'avons dit, s'efforcent d'établir la liaison, mais ils ne sont pas dans une situation qui leur permettrait de stimuler la création en assurant aux peintres une vente régulière de leurs œuvres. Il en ressort que, si la peinture canadienne a atteint un très haut niveau de qualité, il faudrait au Canada plus de peintres et plus de tableaux. La Royal Canadian Academy of the Arts nous a mentionné « ce besoin que nous avons d'une production accrue dans un pays où d'autre part la qualité de la peinture ne laisse pas à désirer » (4).

13.   Et pourtant ce groupe restreint de peintres canadiens participe d'une façon très intense et très efficace à la vie culturelle du pays. On nous a signalé le cas d'un centre d'art qui a été fondé en grande partie grâce à la générosité de peintres canadiens qui ont mis à sa disposition les sommes que leur avaient procurées la vente de certains de leurs tableaux.

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Nos peintres, ainsi qu'il nous l'ont appris eux-mêmes, prêtent constamment et gratuitement leurs œuvres à des expositions de tous genres, bien qu'elles leur reviennent souvent endommagées. La Northern Ontario Association a tenu à signaler la générosité avec laquelle des peintres de grande réputation ont contribué, sans profit matériel pour eux-mêmes, à l'organisation de cours d'initiation aux Beaux-Arts. Le West Vancouver Sketch Club a exprimé lui aussi sa reconnaissance à cet égard. En face d'un tel sens de la collaboration nous ne saurions qu'admirer l'extrême réserve avec laquelle nos peintres ont parlé de leurs problèmes matériels et de l'aide dont ils ont besoin.

14.   Nous avons remarqué également leur sens très développé de la liberté et de l'intégrité de l'artiste. Nous lisons dans le mémoire de la Federation of Canadian Artists :

« Les arts ne doivent être ni dominés ni enrégimentés, et ils ne doivent pas être asservis à des fins spéciales et étroites... Les arts sont l'expression indépendante de la conscience profonde de l'individu ou de la société... Ils peuvent être encouragés, stimulés et aidés; on peut même leur indiquer de nouveaux horizons, et c'est tout à leur avantage, mais, si l'on intervient de l'extérieur dans leur évolution naturelle, quels que soient les résultats immédiats de cette intervention, elle finira dans la dégradation des arts et dans la destruction du pouvoir qui aura attenté à leur liberté  » (5).

Dans son témoignage, le représentant de la même association a précisé en ces termes la position de tout ce groupe à propos de l'organisme envisagé pour la coordination des arts :

« . . . Cet organisme, quelle qu'en soit la constitution, devrait se garder d'attenter à la liberté et à l'indépendance de l'artiste. Ce dernier ne doit être soumis à quelque directive extérieure que ce soit quant à la nature même de son œuvre » (6).

Ce n'est pas que nos peintres cultivent secrètement des goûts d'isolement et qu'ils se tiennent en marge de leur milieu. Au contraire, ils ont manifesté qu'ils se sentent solidaires des mouvements intellectuels et sociaux de leur pays et du monde. On a vu plus haut l'insistance qu'ils mettent à faire valoir l'idée de l'intégration des artistes dans la société canadienne. Le porte-parole de la Royal Canadian Academy of the Arts a déclaré, pour sa part, que c'est son désir qu'on la considère comme un organisme de travail, qui essaie de servir le pays plutôt que les groupes particuliers qu'elle représente. Les peintres canadiens veulent mettre en lumière aussi bien leur liberté de créateurs que la fonction essentielle qu'ils remplissent dans la société comme artistes et comme citoyens. Ils n'en sont pas, pour autant, champions d'un nationalisme étroit. Le Groupe de peintres canadiens demande que se multiplient les invitations aux peintres étrangers à tenir des expositions au Canada.

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15.   D'autre part, ainsi que nous l'avons indiqué, les peintres canadiens pensent qu'ils serviraient mieux leur pays si, au Canada, on reconnaissait de façon plus appropriée la valeur et la dignité de leur rôle et de leur profession; si, en particulier, on permettait davantage aux peintres de vivre de leur art sans devoir recourir à d'autres occupations. La Commission lui ayant demandé si les conditions économiques étaient favorables à la pratique de l'art, M. Pellan répondit: "Nous devons faire certains travaux qui ne sont pas de l'ordre de nos préoccupations artistiques. Nous ne pouvons pas vivre de notre art " (7). Un jeune amateur de Chicoutimi, cette région du Québec où tous les peintres canadiens, les abstraits comme les naturalistes, vont régulièrement rafraîchir leur inspiration, a été plus direct encore.

  • « Comme les ouvriers, les artistes ont droit de manger, de se loger et même de dormir sans trop d'inquiétude. Il ne peut y avoir des hommes qui ont le droit de vivre et d'autres le devoir de crever de faim. Prolonger le martyre de toute une pléiade d'hommes de talent, sous l'absurde prétexte que la production de l'esprit n'est point immédiatement monnayable, est l'une de ces grossièretés qui déshonorent une nation » (8).

16.   La Federation of Canadian Artists a montré qu'il est avantageux pour la nation, à tous les points de vue, de procurer un gagne-pain à l'artiste.

« La pratique des arts n'est pas une activité de luxe mais une condition essentielle à l'établissement et à l'expansion d'une culture nationale bien assise, et à cause de cela elle requiert une dépense considérable d'efforts et d'argent. Comme le langage parlé est nécessaire au développement de la raison, le langage plus fondamental des arts est nécessaire au développement de cette partie émotive et imaginative de notre culture qui est sous-jacente à la raison, mais qui inspire très souvent notre action. Sans un développement approprié de cette partie obscure et mystérieuse de l'homme, la société qu'il crée manquera nécessairement d'authenticité, de cohésion, de confiance en soi et de conscience de son entité »(9).

17.   Nous avons entendu avec intérêt un certain nombre de propositions sur les moyens à prendre pour assurer à nos peintres plus d'indépendance matérielle et par conséquent, plus de liberté d'action et plus de temps pour produire. Plusieurs sociétés d'amateurs, comme la Northern Ontario Art Association, la Canadian Federation of Home and School et le Conseil canadien des arts, conseillent qu'on donne aux peintres de renom des bourses ou des prix qui leur permettent de se consacrer entièrement à leur art pendant une période plus ou moins longue. La Federation of Canadian Artists va même jusqu'à indiquer un titre pour ces bourses et prix : «  Dominion of Canada Art Scholarships ». Ce serait l'équivalent, au Canada, des pensions que certains pays accordent à leurs poètes et à leurs artistes.

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18.   Cette même association ajoute, à cette première proposition préconisant des octrois de caractère gratuit, une série de recommandations en faveur de l'institution d'un concours national, dans le domaine artistique, semblable au War Artists Project des États-Unis. Cette initiative, dont l'État ferait les frais, inciterait nos peintres à produire des œuvres dont les meilleures entreraient dans les collections de la Galerie nationale. D'autres œuvres, d'un caractère moins désintéressé, constitueraient le noyau des collections consacrées à la description de secteurs ou de certaines phases de la vie canadienne. On en commanderait une série pour la décoration de nos édifices publics et de nos ambassades. Enfin, par l'intermédiaire d'un organisme approprié, on pourrait pousser la vente de peintures de tous genres à de grandes institutions publiques ou privées. La Federation inclut aussi, dans ce projet, des commandes de pièces représentatives des différentes techniques et des différents états de notre peinture destinées à la vente aux musées régionaux. L'intérêt de ce vaste programme, qui a d'ailleurs été exposé d'une façon moins élaborée par le Calgary Allied Arts Centre, c'est qu'en plus de fournir nos meilleurs peintres de commandes bien rétribuées, il créerait autour de la peinture canadienne ces courants de curiosité qui sont aussi nécessaires à la vitalité d'un art que la circulation du sang à la vie du corps.

19.   Les projets d'ordre public qui nous ont été suggérés sont utiles et même nécessaires à l'encouragement de la peinture canadienne, mais le Conseil canadien des arts nous rappelle que le principe des achats et des commandes particulières est toujours le plus satisfaisant pour l'artiste. Au Canada, il est resté très difficile à un artiste de vivre par ce moyen. La Galerie nationale est l'institution la plus importante, qui se fait une pratique régulière d'acheter des œuvres canadiennes. On nous a déclaré que les $32,000 que la Galerie a pu consacrer à ses achats annuels, pendant les dix dernières années, sont loin d'être suffisants, surtout si l'on songe à la proportion minime qu'elle en peut affecter à l'acquisition de tableaux canadiens. Les sociétés bénévoles ont insisté également sur l'urgence qu'il y a d'organiser, dans tout le pays, des expositions plus nombreuses et plus représentatives afin de former le goût des masses. À la longue, ces expositions, en mêlant intimement la peinture aux préoccupations de tous les citoyens, auraient, comme premier résultat pratique, d'amener un plus grand nombre de gens à acheter des toiles. Ces expositions serviraient donc, non seulement à éduquer le public, mais aussi à aider l'artiste.

20.   Que l'éducation du public canadien soit une question de toute première importance, on nous l'a déclaré à maintes reprises. Le directeur de la Galerie nationale a bien servi la cause de la peinture en signalant que les expositions qui se tiennent dans le pays ne donnent pas encore les résultats pratiques que les expositions de peinture canadienne à l'étranger ont pu avoir. Nos peintres ont exposé en Angleterre, en France, en

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Afrique du Sud, en Australie, aux États-Unis, en Italie, au Brésil et en Belgique. En plus de l'accroissement de prestige que ces expositions leur ont apporté, elles leur ont permis de vendre quelques-unes de leurs toiles là-bas. Mais il n'en est pas ainsi pour les expositions qui se tiennent ici même. Comme l'a conseillé la Société canadienne d'enseignement postscolaire, il faudrait multiplier les expositions à l'étranger, tout en cherchant à obtenir plus de résultats pratiques des expositions qui se tiennent au Canada.

21.   On nous a présenté d'autres avis sur la façon d'accroître l'intérêt du public à l'endroit de la peinture canadienne. Par exemple, la Vancouver Art Gallery et la Northern Ontario Art Association croient qu'une diffusion systématique de Canadian Art, cette revue spécialisée qui tire actuellement à quelque 6,000 exemplaires, provoquerait une curiosité efficace envers la peinture canadienne. D'autres associations voudraient que l'État subventionnât la publication de monographies et d'albums de peintres canadiens. Le problème des reproductions de la Galerie nationale a fait aussi l'objet de propositions qui vont dans le sens de l'intérêt bien entendu de nos peintres. Le Saskatchewan Arts Board affirme que des reproductions des œuvres canadiennes devraient être exposées dans les écoles en vue de faire de l'art canadien une réalité quotidienne pour les enfants. À l'heure actuelle, par malheur, le goût du public est si peu formé que l'Art Gallery de Toronto nous a rapporté qu'elle a dû abandonner, par manque d'intérêt chez le public, et d'appui financier, la pratique qu'elle a suivie de publier chaque année une grande reproduction d'un peintre canadien. Rappelons, à propos des reproductions, que la Société des sculpteurs s'est indignée de l'activité « de pirates » à laquelle se livrent même des organismes fédéraux. À son avis, contrairement à ce qui se passe trop souvent, les artistes devraient toucher une compensation pour toutes les reproductions qu'on fait de leurs œuvres.

22.   On nous a défini un autre projet destiné à aider, ou plutôt à rémunérer convenablement les peintres, et qui consisterait à leur verser un honoraire pour le prêt de toiles aux expositions. Ainsi que nous l'avons déjà mentionné, ils prêtent maintenant leurs tableaux gratuitement et parfois, après un long intervalle, on leur retourne, en mauvais état, des œuvres qu'ils auraient peut-être eu l'occasion de vendre en vente privée. Aux États-Unis, il arrive qu'on achète en bloc tout ce qu'un peintre expose, mais, le plus souvent, on s'engage à en acquérir une certaine proportion. On a recommandé que cette formule soit adoptée au Canada.

23.   Nous avons déjà mentionné un certain nombre d'autres propositions en vue d'accroître au Canada la compréhension et l'appréciation du travail des peintres canadiens. On convient en général que la Galerie nationale pourrait étendre son travail éducatif; que Radio-Canada et

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l'Office national du film pourraient faire davantage pour stimuler l'intérêt public qui a déjà réagi chaleureusement à leurs efforts du passé.

24.   La peinture canadienne, par son authenticité et sa qualité, est devenue, avant tous les autres arts, le grand moyen d'expression de l'esprit canadien. Notre peinture est un élément d'unité nationale et elle a la supériorité de ne pas se heurter aux barrières des différences de langage. Mais elle ne pourra exercer son action civilisatrice à l'extérieur et à l'intérieur que si les peintres reçoivent l'appui qui s'impose. Il s'agit maintenant de trouver la formule pratique qui intégrera le peintre dans la vie nationale avec autant de générosité qu'il sait intégrer, lui-même, certains aspects moraux et matériels de cette vie dans la peinture canadienne.

*Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé.

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