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Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada
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importants dans tous les domaines de l'érudition et en provenance de toutes les parties du Canada. La University of Toronto Press publie et aide financièrement sept revues savantes spécialisées dans les humanités et les sciences sociales.

25.   Outre ces difficultés, dont la plupart sont plus ou moins fonction des préoccupations matérielles de notre époque, des spécialistes des sciences sociales ont appelé notre attention sur une tendance qui se fait jour et qu'ils estiment être une menace dangereuse à l'intégrité de leur travail. Ils s'affligent des pressions financières et sociales que le savant subit et qui l'obligent à entreprendre, au nom de la « recherche », des travaux qui peuvent même être nuisibles au travail scientifique.

« La « recherche » : mot qui s'est revêtu d'une puissance magique. Il exerce sur l'argent un pouvoir que ne possède pas l'humanisme. D'ordinaire, le spécialiste canadien des sciences sociales est un homme des classes moyennes, vivant d'un revenu fixe à une époque de hausse constante du coût de la vie et faisant front à des exigences de milieu qui le poussent à maintenir certaines apparences extérieures . . . S'il consacre ses courts loisirs, — ses étés, par exemple, — à des travaux intellectuels, il se peut qu'un jour il écrive un livre qui étendra le champ des connaissances humaines (nous ne devons jamais perdre de vue que c'est à ce but qu'il s'est en principe voué quand il a embrassé cette carrière). D'autre part, il se peut qu'il consacre plutôt ses loisirs à élargir son expérience et à enrichir son esprit en vue d'aiguiser l'intérêt de ses étudiants et d'allumer en eux le feu sacré. Si toutefois, il se rend à Ottawa ou accepte quelque proposition d'affaire pour la poursuite de recherches quelconques, il est probable qu'il gagnera $2,000 de plus par année ... La « recherche » paie, l'érudition ne paie pas »(11) .

26.   Nous avons appris, de même source, qu'un autre facteur encore menace l'intégrité de la recherche véritable dans le domaine des sciences sociales : c'est le danger possible que l'on ne se détourne de ces enquêtes sérieuses et arides que comporte la recherche fondamentale, pour s'adonner à une pure accumulation de faits, opération relativement simple et qui peut avoir des applications pratiques immédiates.

« L'État et les hommes d'affaires ont découvert que, pour mener à bien leurs opérations ils doivent disposer de compilations de faits. Ils en sont venus à professer une passion quasi-religieuse pour la « recherche », le mot signifiant pour eux l'accumulation minutieuse de faits et parfois, leur manipulation habile. Ils possèdent l'argent nécessaire pour induire les savants à entreprendre des travaux de cette espèce. De plus, quand ils échouent auprès des savants, ils réussissent à séduire les autorités universitaires. Des « Instituts de recherche » ont été fondés un peu partout, sous le prétexte spécieux que les recherches d'ordre pratique sont nécessaires et qu'elles peuvent amener des révélations de grande importance théorique, permettant ainsi aux spécialistes des sciences sociales de servir la science, la collectivité et leur propre bien-être



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financier. Ce qui arrive tout naturellement, c'est qu'on gaspille des sommes d'argent considérables, ainsi que du temps précieux et de l'énergie créatrice, pour s'efforcer de trouver la solution de problèmes qui n'ont parfois qu'un mince intérêt théorique alors que ce temps et cette énergie auraient pu être consacrés à des travaux féconds d'érudition. Seule, une passion véritable pour la science peut garder un homme de cette tentation. Nous n'avons que trop souvent contemplé les résultats de ces efforts poursuivis dans les instituts de certaines universités américaines. Ils sont pauvres et d'importance nulle. Fréquemment, les problèmes de « recherche » sont parés de couleurs riantes, pour séduire les bailleurs de fonds peu au courant de ces questions ; de vastes sommes d'argent sont obtenues et dépensées et les « recherches » aboutissent à grand peine à fournir des données que tout spécialiste des sciences sociales qui se respecte possède déjà  » (12) .

27.   Dans notre exposé des réussites canadiennes en humanités et en sciences sociales, nous nous sommes vus forcés de brosser un tableau plutôt décourageant dans l'ensemble. Nous n'avons pas tenté de le rendre moins sombre qu'il n'est en réalité; car les problèmes qui nous ont été soumis ont, comme on nous l'a dit, un lien vital avec le développement des arts, des sciences et des lettres au Canada. Cette vue est aussi, croyons-nous, celle de nombreux hommes de science. Néanmoins, nous puisons quelque encouragement dans le réveil de l'opinion publique qui commence à se rendre compte que l'on néglige, en fait, des disciplines essentielles à une vie nationale saine. Nous avons reçu de nombreux avis démontrant que ces problèmes font l'objet d'une sérieuse réflexion, non seulement chez ceux qui y ont un intérêt particulier mais aussi chez un grand nombre d'autres personnes qui se préoccupent de la vie intellectuelle du Canada.

28.   De nombreux mémoires ont souligné l'urgence du problème. Celui de l'université de Dalhousie, après avoir examiné l'importance des études humanistes, qu'on néglige si aisément en un pays neuf, poursuit ainsi :

« Étant donné l'étendue de notre territoire, les origines raciales variées de nos habitants, et la pression exercée par les intérêts économiques, tout encouragement donné à la diffusion des connaissances dans le domaine des humanités est de toute première importance »(13).

La même idée est exprimée par l'université de Colombie-Britannique dont le mémoire mentionne l'importance, dans la vie nationale, des études et des recherches se rapportant aux humanités. « Il devient de plus en plus évident, dit de son côté le Conseil canadien des recherches en science sociale, que nous devons consacrer davantage de réflexion et d'effort à l'étude des relations humaines » (14). L'auteur d'une étude spéciale sur la philosophie au Canada, affirme que les gens qui pensent, se



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rendent compte du besoin d'une « tradition propre au Canada en matière de philosophie  » :

« Les Canadiens commencent à se rendre compte qu'ils ne doivent pas se borner à adopter les hypothèses sur la vie humaine qui leur viennent des principales nations occidentales; d'autre part, ils ne peuvent espérer que leurs propres traditions spirituelles conserveront automatiquement leur puissance. Ils commencent à voir qu'une grande partie de ces traditions a déjà été foulée aux pieds, dans nos efforts pour bâtir une société de masses » (15) .

29.   Nous avons également reçu d'intéressants commentaires sur la place que doivent occuper les humanités dans la vie nationale et sur leur influence dans la politique, les arts et, en général, la civilisation. Il en ressort que le philosophe, fort de ses traditions de critique et de contemplateur, peut servir à freiner utilement les élans impétueux de l'homme d'action qui, par nature, va toujours de l'avant. Ce genre de freinage est souvent indispensable dans notre monde contemporain. D'autre part, si les lettres et la philosophie, en tant que disciplines d'enseignement, ne peuvent donner naissance à l'artiste ou à l'écrivain, elles peuvent les aider à développer leurs talents. Ce point de vue est habilement exprimé dans le mémoire de la Conférence nationale des universités canadiennes. L'étude de la philosophie et des lettres aide à former « ces citoyens d'esprit exercé, d'opinions larges et éclairées, de bon goût et de jugement sûr, sans lesquels il ne saurait y avoir de civilisation nationale » (16) . Les facultés des arts offrent une atmosphère favorable à la formation du musicien ou de l'artiste créateur. Une aide généreuse est accordée à la recherche scientifique, mais « nul encouragement financier analogue n'existe qui permettrait de familiariser notre jeunesse avec les hautes pensées cachées dans le trésor de notre héritage culturel, et d'inspirer envers ces traditions dans le cœur et l'esprit de nos jeunes, une révérence à la fois sincère et judicieuse » (17) .

30.   Les remèdes proposés sont aussi variés qu'intéressants, représentant, comme on pouvait s'y attendre, diverses conceptions du même problème. Une attention spéciale est accordée à l'enseignement universitaire. On fait entendre que les universités devraient se limiter à leur tâche propre, qui est le développement des capacités intellectuelles et esthétiques, et devraient éliminer tous les cours dont le seul but est de mettre en valeur les talents d'ordre technique; elles devraient posséder des bibliothèques et des résidences convenables d'étudiants et offrir des salaires suffisants, surtout aux plus jeunes membres de leur corps enseignant; elles devraient aussi se souvenir que quantité et qualité sont, « pour ainsi dire, incompatibles ». De plus, on a exprimé l'avis que toutes les universités canadiennes pourraient s'inspirer de nos deux instituts d'études médiévales, qui abordent, dans un esprit de synthèse, l'ensemble de l'activité humaine pour une période donnée et dans ses rapports avec une tradition déterminée.



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Si le postulant au diplôme de docteur en philosophie devait prouver qu'il possède non seulement une connaissance précise de son sujet, mais encore qu'il voit clairement de quelle manière ce sujet se rattache à l'ensemble des problèmes de l'existence humaine, le titre qu'on lui accorderait retrouverait son véritable sens originel; c'est l'opinion que nous a communiquée un humaniste que préoccupe l'état actuel des humanités, surtout en ce qui concerne la philosophie.

31.   Nous avons reçu un certain nombre d'avis offrant des solutions immédiates d'ordre pratique. Le Conseil canadien des recherches en science sociale propose le versement de subventions appropriées pour des bourses postscolaires, des bourses d'études et des travaux de recherches; la création d'une Bibliothèque nationale; la réunion des dossiers publics sous la garde des Archives nationales où ils seront aisément accessibles en vue des recherches; une diffusion plus large des imprimés officiels et, dans l'intérêt des érudits et des savants, la réorganisation du Musée national. Le Conseil canadien des humanités insiste tout particulièrement sur la nécessité d'alléger le fardeau des professeurs d'université et de faciliter leurs recherches; il souligne aussi le besoin de fournir des fonds pour la publication de travaux d'érudition. L'université du Nouveau-Brunswick examine avec une attention particulière la situation défavorable du professeur d'université qui ne peut se permettre de consacrer ses vacances d'été aux études et aux recherches. Elle recommande la création de bourses de voyage qui lui permettraient de se rendre aux bibliothèques, aux musées, et de puiser à diverses autres sources de matériel de recherches; elle préconise enfin des subventions en vue de dépenses spéciales, comme le salaire des sténographes et les frais d'édition.

32.   De divers côtés, enfin, on nous a fait remarquer l'urgence qu'il y avait de créer des conditions qui rendraient possible, pour le spécialiste des humanités et des sciences sociales, l'accomplissement de travaux comparables en valeur intellectuelle et sociale à ceux de ses collègues des sciences naturelles. Nous n'avons pu découvrir de solution unique, mais nous sommes persuadés que plusieurs de nos recommandations, surtout celles qui ont trait aux universités, aux bourses d'études et à l'établissement d'un conseil pour les arts, les lettres, les humanités et les sciences sociales, aideraient à donner, à l'étude de l'homme, la place qu'elle mérite d'occuper dans notre vie nationale.

L'HOMME DE SCIENCE ET LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

La nature de la recherche scientifique.

33.   Les travaux d'érudition et de recherche en sciences naturelles composent un ensemble aussi vaste que divers. Les sciences naturelles ne peuvent plus être considérées uniquement comme des domaines bien limités d'études et d'explorations intellectuelles. Les conséquences sociales et



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philosophiques des découvertes scientifiques, les techniques spéciales qui y conduisent, les applications pratiques et spectaculaires des conclusions de la science ont transformé si complètement tous les aspects de la vie moderne et les ont fait voir sous un angle si différent, que les historiens appliquent couramment à notre époque le nom d'Age de la science, l'opposant ainsi à une époque précédente qui serait d'après eux l'Age de la religion.

34.   À première vue, le tableau qu'offre la science canadienne semble être brillant. Les mémoires que nous avons reçus nous ont fait grande impression en nous révélant l'intérêt que l'on porte à la science et l'importance qu'on estime devoir lui accorder. L'accent qui est universellement placé sur la « recherche », un mot que les réussites des hommes de science ont contribué à rendre sacré à notre époque, permet de juger de la réputation dont ils jouissent. Au contraire des travaux d'humanisme, les recherches scientifiques, au Canada, sont menées sur une grande échelle dans les laboratoires fédéraux, provinciaux et privés, sans compter les travaux fondamentaux accomplis dans les universités. Et cependant, les hommes de science nous affirment que, bien que les réalisations du Canada dans le domaine de la science soient plus dignes de remarque que dans les autres domaines, elles sont cependant arrêtées elles aussi par les mêmes causes qui nuisent à l'essor des humanités.

35.   Dans le cours du présent chapitre, nous avons déjà dit quelques mots sur la nature des travaux scientifiques en général. Nous pourrions adopter la claire définition des savants eux-mêmes, à savoir que la recherche scientifique est l'examen des phénomènes naturels en vue de la découverte de lois et de rapports qui peuvent, — ou non, — avoir des applications pratiques. Comme nous l'avons indiqué, l'homme de science a bien des points communs avec les autres hommes d'étude. Qu'il fasse usage de certaines techniques qui impliquent une formation hautement spécialisée, cela n'empêche qu'un grand savant, dans son domaine, doit posséder les caractéristiques de tous les esprits de premier ordre, quel que soit le champ de leurs travaux : un enthousiasme désintéressé et l'imagination créatrice. Un savant canadien rappelait tout récemment l'anecdote sur Newton, contée par Lord Keynes. Halley demandait à Newton : « Qu'est-ce qui vous prouve l'exactitude de cette théorie fondamentale que vous avez découverte? » Ébahi, Newton répliqua: « Cela fait des années que je sais qu'elle est exacte; mais si vous m'accordiez quelques jours, je pourrais certainement vous en fournir la preuve ». Et il fit comme il l'avait promis.

36.   Cette histoire pourra paraître un peu étrange à ceux qui connaissent les méthodes modernes de recherche. Elle sert cependant à souligner la différence nettement établie par tous les savants contemporains entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Celui qui se consacre à la recherche fondamentale étudie les phénomènes naturels pour en induire certaines lois et certains rapports. Il peut songer aux applications



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pratiques possibles de ses découvertes, ou n'y pas songer. Quelques savants désignent les résultats de toute recherche fondamentale comme étant la « matière première » scientifique, qui devra être « ouvrée » avant de pouvoir être mise en usage. D'autres proclament que le vrai savant poursuit la connaissance pour l'amour de la connaissance et que, pour celui qui est absorbé par des spéculations purement intellectuelles, toute idée d'applications pratiques doit sembler, pour l'heure, d'importance bien minime. En vérité, — comme l'anecdote de Newton nous le prouve, — l'intensité avec laquelle le savant recherche sa satisfaction intellectuelle propre peut même suffire à lui faire perdre de vue, sur le moment, la nécessité d'assembler et d'arranger les preuves logiques sur lesquelles il étayera une conviction intime qui est d'ordre intuitif. Nous avons l'impression toutefois que tous les hommes de science contemporains, sans nier l'importance de l'intuition, seraient plutôt d'accord avec Halley pour réclamer les preuves.

37.   La recherche appliquée, comme son nom l'indique, est l'application de principes scientifiques déjà connus à la solution de problèmes particuliers. Ainsi qu'on nous l'a fait remarquer, les problèmes de la recherche appliquée se prêtent volontiers aux efforts d'équipe, de groupes composés d'un grand nombre d'hommes de science et de techniciens, comme on en rencontre si souvent dans le domaine de la recherche scientifique contemporaine. Les hommes de science modernes parlent souvent aussi de « recherches de base », c'est-à-dire de celles dont le domaine s'étend entre celui de la recherche fondamentale et celui de la recherche appliquée. Ici, le chercheur explore un champ limité. En règle générale, il n'a pas en vue de but pratique immédiat, mais il est probable que ses découvertes recevront, tôt ou tard, des applications pratiques.

38.   Il est important de distinguer entre ces divers types de recherches mais il est impossible, de l'avis des hommes de science, de les séparer entièrement. Le roi Charles II, raconte-t-on, trouvait un plaisir particulier dans ce fait que les membres de sa propre Société royale étaient capables de s'abstraire des problèmes pratiques au point de passer leur temps à « mesurer le poids de l'air » (18). Mais, près de trois siècles plus tard, alors que les bases matérielles de l'existence ont été modifiées de fond en comble par l'application des principes scientifiques aux problèmes pratiques, il ne saurait y avoir d'hommes de science qui s'adonnent à la recherche fondamentale sans avoir conscience des résultats pratiques possibles de leurs découvertes. Chez certains d'entre eux, cette possibilité sera le mobile déterminant. D'autre part, le spécialiste de la recherche de base ou même de la science appliquée peut être ramené à la recherche fondamentale par les exigences de son problème ou par simple curiosité intellectuelle. De plus, le savant voué aux sciences appliquées peut franchir aisément les frontières ténues qui séparent un domaine scientifique du domaine voisin; à témoin, l'expérience de l'homme qui cherchait à



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extraire la quinine de l'aniline et qui produisit, par hasard, une superbe teinture bleue, jetant ainsi les bases d'une grande industrie moderne » (19) .

39.   Bien que les types divers de recherche glissent l'un dans l'autre, on nous a fait observer, à plusieurs reprises, qu'il importe avant tout de les distinguer l'un de l'autre. Tous les gouvernements, de nos jours, consacrent des sommes de plus en plus considérables à la recherche scientifique. En 1937, la Grande-Bretagne a dépensé, de ce chef, 20 millions de dollars; les États-Unis, 41 millions, et le Canada, un peu moins de 3 millions. En 1947, les sommes affectées aux mêmes fins s'élevaient à 400 millions en Grande-Bretagne, 626 millions aux États-Unis et 40 millions au Canada. Et il s'exerce de fortes pressions pour faire augmenter ces crédits, en vue de la solution de problèmes pratiques, urgents, dans le domaine de l'industrie, de la défense et de la médecine.

40.   Dans ces conditions, ceux qui se sentent talonnés par les besoins pressants de l'heure accorderont volontiers bien plus d'importance aux recherches appliquées qu'aux recherches fondamentales. Les résultats de ces dernières sont toujours longs à se manifester; ils peuvent être négatifs ou, s'il sont positifs, peuvent n'avoir aucune importance « pratique ». Bien des gens, de nos jours, lorsqu'il rencontrent un savant en train d'expérimenter aujourd'hui sur ce qui serait l'équivalent contemporain du « calcul du poids de l'air », s'en divertissent, comme Charles II, mais sans avoir sa tolérance. On nous a fait remarquer à plusieurs reprises, cependant, que la recherche fondamentale dans le domaine scientifique doit être considérée comme un apport essentiel à notre développement intellectuel et à notre intelligence de tous les aspects de la vie contemporaine et que, sans de semblables recherches, il ne peut y avoir ni enseignement convenable des sciences, ni spécialistes du travail scientifique, ni science appliquée.

41.   Cet avertissement est particulièrement utile en notre continent où tant d'hommes de science se consacrent exclusivement aux recherches pratiques ou, tout au plus, aux recherches de base, faisant usage des principes fondamentaux établis dans les centres de recherches européens. Nous citons le jugement que porte un Américain sur son pays, et qui, sans doute, s'applique tout aussi bien au nôtre :

« La puissance de notre nation s'est manifestée dans l'application pratique de principes scientifiques plutôt que dans des découvertes originales. Par le passé, notre pays n'a apporté qu'une trop modeste contribution au progrès de la science de base  »

(20).

Cette dépendance exagérée, toujours dangereuse, l'est surtout aujourd'hui, alors qu'un si grand nombre de centres de recherches européens ont été détruits.



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Principaux organismes de recherche de base ou appliquée au Canada.

LES INDUSTRIES

42.   Le chef d'industrie contemporain se laisse facilement convaincre de l'importance de la recherche appliquée; la plupart des sociétés industrielles ont, de nos jours, leurs propres laboratoires d'essai et d'expérimentation où l'on procède très souvent, en outre, à des recherches de base ou d'application plus vastes encore. Les recherches dans le domaine de la science appliquée — où l'on peut toujours s'attendre à des résultats tangibles, où les frais peuvent être établis à l'avance avec précision, et où la coordination des efforts et le travail d'équipe d'un grand nombre de travailleurs peuvent être obtenus avec le maximum d'avantage — présentent, pour l'industrie, un champ d'exploration tout indiqué. Aussi dans la plupart des pays, l'industrie contribue pour beaucoup à ce genre de travaux scientifiques. Au Canada, cependant, et bien que l'on ait une conscience de plus en plus nette de son importance, la recherche industrielle se traîne paresseusement à la remorque du développement général de l'industrie. Cela s'explique peut-être en partie par un essor économique très rapide, qui n'a laissé que peu de temps pour l'établissement de projets à longue échéance. Mais la cause principale de cette carence est qu'un grand nombre de maisons canadiennes ne sont que les filiales de maisons anglaises ou américaines. Dans ces organisations, les travaux essentiels de recherche se poursuivent au siège même de l'entreprise et les filiales canadiennes ne peuvent que produire des copies serviles de modèles anglais ou américains. Cette coutume, bien qu'elle soit profitable du point de vue économique, prive les Canadiens de l'occasion d'exercer leurs talents et leur ingéniosité. Sur un total de 12,000 brevets d'invention accordés au Canada en 1947, moins d'un millier allèrent à des Canadiens vivant au Canada. Nous avons entendu dire que les écoles de science appliquée de notre pays se ressentent péniblement du manque de débouchés offerts à leurs étudiants par l'industrie canadienne (21).

LES GOUVERNEMENTS PROVINCIAUX

43.   Tout comme le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux ont favorisé la recherche scientifique dans les domaines qui présentent, pour eux, un intérêt particulier. La plupart ont entrepris ou financé des projets de recherche dans quelques-uns au moins de leurs services. Dans la voirie, la sylviculture, la pêche, la conservation de la faune et l'agriculture, les initiatives provinciales occupent une place importante dans la politique générale de la recherche au Canada.

44.   Les gouvernements provinciaux ont également soutenu de vastes travaux de recherche poursuivis par l'intermédiaire de conseils ou de fondations spécialisés. Le premier organisme établi dans ce domaine



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fut le research Council of Alberta, fondé en 1921. Durant les trente années de son existence, cet organisme a étroitement collaboré avec l'université d'Alberta et s'est occupé surtout de problèmes concernant les combustibles et les ressources minérales de la province.

45.   Quelques années plus tard, l'Ontario research Foundation fut créée, et elle est soutenue conjointement par le gouvernement et les industries de cette province. Cet organisme s'est tracé un programme important de recherches de base et, en outre, conclut des marchés avec des sociétés isolées ou des groupements industriels, aux termes desquels il se charge de recherches ou agit à titre de conseiller. La plupart des bourses d'études industrielles que comporte cette initiative ont été créées par les soins de diverses firmes de l'Ontario; les autres furent instituées par des entreprises d'autres provinces. En vue de fournir une aide plus étendue à la recherche, le gouvernement de l'Ontario a fondé récemment le research Council of Ontario. Cette institution n'a pas de laboratoires. Aidée de plusieurs commissions, elle joue le rôle d'un organisme consultatif et fournit l'aide financière nécessaire aux recherches accomplies par l'Ontario research Foundation et par les universités de la province. Elle distribue aussi un nombre important de bourses d'études.

46.   Ces dernières années d'autres provinces ont établi des organismes de recherches. La Colombie-Britannique a institué le British Columbia research Council dont les laboratoires se trouvent sur le terrain de l'université; ses fonctions se rapprochent étroitement de celles de l'Ontario research Foundation. La Nouvelle-Écosse a établi la Nova-Scotia research Foundation, qui, à l'heure actuelle, n'a pas de laboratoires et qui fonctionne comme le research Council of Ontario, bien qu'elle manifeste, en outre, un intérêt actif à l'endroit des enquêtes économiques et du développement industriel. Le Saskatchewan research Council n'a pas, non plus, de laboratoires en propre, mais il encourage les travaux de certains laboratoires de l'université de la Saskatchewan au moyen de subventions et de bourses d'études. La province de Québec a établi un Bureau de recherche scientifique, qui aide aux recherches surtout par le moyen de bourses. Terre-Neuve a jeté les bases d'un conseil ou d'une commission de recherche, mais n'a pas décidé encore de sa forme définitive.

47.   Par l'intermédiaire de ces divers organismes, les provinces ont déjà largement contribué au progrès de la recherche scientifique au Canada et l'on peut même discerner, depuis quelque temps, un accroissement d'intérêt dans ce domaine.

LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

48.   Le gouvernement fédéral consacre maintenant plus de 50 millions par an à la recherche scientifique. Les travaux sont menés principalement dans les laboratoires des divers ministères et dans ceux du Conseil



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national de recherches ainsi que dans ceux de l'importante usine de ChalkRiver. Le Conseil national de recherches est chargé également de coordonner et de favoriser la recherche au Canada, de façon générale.

Laboratoires des ministères

49.   Les ministères de l'Agriculture, des Mines et Relevés techniques, des Ressources et du Développement économique, des Pêcheries, de la Défense nationale, de la Santé et du Bien-être social s'occupent de recherches. Ces ministères, qui s'intéressent à la conservation et à la mise en valeur des richesses naturelles ainsi qu'à la santé et à la sécurité nationale, consacrent, naturellement, un temps considérable à des problèmes d'ordre pratique. Toutefois, ils accordent aussi, nécessairement, une attention soutenue aux recherches de base et même aux recherches fondamentales. Les raisons pratiques en sont évidentes. Les recherches de base ou les recherches fondamentales, nécessaires pour enrayer un fléau ou une maladie, ne pourraient être entreprises une fois que le mal aurait atteint l'état épidémique. Si donc le travail préliminaire n'est pas poursuivi dans d'autres centres, le ministère doit s'en charger. De plus, on s'accorde généralement à reconnaître que, pour que les laboratoires donnent un rendement satisfaisant, il est nécessaire de relier les recherches de base et même fondamentales aux applications pratiques parce que ces recherches peuvent servir à attirer et retenir, dans les laboratoires, des hommes de premier ordre. Tous les services fédéraux, il est vrai, travaillent en collaboration avec les universités, surtout lorsqu'il s'agit de problèmes qui relèvent de la recherche fondamentale.

Le Conseil national de recherches

50.   Les laboratoires gouvernementaux les plus vastes et les plus complets sont ceux du Conseil national de recherches qui se consacrent avant tout aux recherches fondamentales et aux recherches de base dans les domaines les plus variés de l'activité scientifique et industrielle. Le premier de ces laboratoires, ouvert en 1932, partageait son activité entre quatre secteurs de la recherche : la biologie, la chimie, la physique et le génie mécanique. De 1939 à 1945, les exigences de la guerre provoquèrent une expansion rapide qui se produisit dans le cadre existant. En quatre ans, le personnel passa de 300 à 2,500 personnes et le budget, de $900,000 à 7 millions.

51.   Pendant la guerre, la presque totalité des recherches d'intérêt militaire, au Canada, furent accomplies dans des laboratoires placés sous l'autorité du Conseil; à un certain moment, il y en eut jusqu'à 21, dispersés dans les diverses provinces. Après la guerre, le Gouvernement, suivant l'avis du Conseil national de recherches, établit le Conseil de recherches pour la défense. Celui-ci prit la direction de tous les laboratoires

*Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé.

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