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Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada
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L'ÉDITION*

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1.   Le représentant d'une association d'éditeurs a défini sa profession de la manière suivante au cours de l'une des séances de la Commission : « L'éditeur n'est-il pas en quelque sorte l'architecte de la pensée; il fournit aux écrivains la charpente et la forme matérielle de leurs œuvres. Sans lui les œuvres seraient des corps sans vie » (1). Nous rapportons cette assertion pour indiquer l'opinion élevée que les éditeurs canadiens ont de leurs fonctions et de leur responsabilité dans la vie intellectuelle du pays. Les écrivains cependant ne souscriraient pas complètement à une formule aussi catégorique et ils pourraient rappeler avec raison que, dans les sociétés anciennes, les écrivains ont pu produire des chefs-d'oeuvre qui se sont perpétués jusqu'au début de l'âge moderne sans le véhicule du livre et la collaboration de l'éditeur.

2.   Quoi qu'il en soit de cette question, il reste indéniable que le rôle de l'édition dans l'avancement de la littérature au Canada est de première importance. Aussi est-ce avec inquiétude que nous avons entendu les éditeurs se plaindre de l'incertitude de leur position et nous décrire les conséquences possibles de cette incertitude sur les lettres et la culture dans notre pays. En premier lieu, l'éditeur ne peut pas compter sur une production littéraire suffisamment régulière et volumineuse et de qualité assez élevée pour conquérir et conserver un marché assuré. Ensuite, notre population n'est pas assez nombreuse et pas assez concentrée pour garantir un écoulement massif de la production. De plus, un certain nombre de raisons financières, particulières au Canada, compliquent l'administration d'une maison d'édition.

3.   Le petit nombre d'ouvrages à publier est, nous a-t-on dit, l'une des principales causes des difficultés de l'éditeur canadien. Comme on le verra dans le tableau ci-dessous, qui donne un exposé comparatif du nombre d'ouvrages parus en Angleterre, aux États-Unis et au Canada en 1947 et en 1948, la différence, entre la production dans les deux premiers pays et la production canadienne, est considérable.

1947 Ouvrages d'imagination Poésie et théâtre Littérature générale
Angleterre 1,723 352 243
États-Unis 1,307 463 224
Canada (de langue anglaise) 34 40 8
1948      
Angleterre 1,830 423 180
États-Unis 1,102 504 295
Canada (de langue anglaise) 14 35 6

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4.   Un éditeur nous a écrit cependant que, pour restreinte qu'elle soit, si cette production était de meilleure qualité les affaires de l'édition s'en porteraient mieux. «  Les livres canadiens considérés séparément se vendent bien quand ils peuvent se comparer, au point de vue intérêt, qualité littéraire, prix et présentation, aux livres publiés dans d'autres pays au même moment, nous a-t-on écrit. Les difficultés de la vente viennent du fait qu'il n'existe pas un nombre suffisant d'écrivains canadiens qui ont réussi jusqu'à présent à présenter à leurs compatriotes cette image saisissante de leur pays et de sa population, que ceux-ci en attendaient »2. Et l'auteur de cette lettre, comparant les statistiques de vente, au Canada, pendant la même période donnée, de quatre « best sellers  » américains et britanniques, d'une part, avec la vente de quatre romans canadiens à succès, montre que dans trois des cas la vente du roman canadien a été supérieure à celle du roman américain ou britannique et que, dans le quatrième cas, le nombre d'exemplaires du «  best seller » américain vendu au Canada n'a dépassé que très légèrement (de deux cent exemplaires environ) le nombre d'exemplaires qu'on a vendus du « best seller » canadien. Le problème de la qualité de l'oeuvre joue donc un rôle dans celui de sa vente. Si nos éditeurs pouvaient publier un plus grand nombre de romans de qualité, l'édition canadienne serait sans doute plus prospère.

5.   D'autre part, un critique de Montréal nous a signalé que, trop souvent, par manque de courage ou manque d'imagination, nos éditeurs laissaient passer l'occasion de lancer un bon auteur canadien et, du même coup, d'avancer leurs propres affaires. Il nous a rappelé que c'est un éditeur américain qui prit l'initiative de faire traduire et de publier en anglais Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy, qui fut certainement la plus grande réussite canadienne sur le plan international depuis la guerre. L'édition canadienne de langue anglaise fit une erreur analogue dans le cas du roman d'Edward Meade : Remember Me, qu'une maison britannique n'hésita pas un instant à publier à Londres, et dont elle vendit dix mille exemplaires en quelques mois en Angleterre même. À propos de ce même roman, il est intéressant de noter que les distributeurs canadiens n'en commandèrent que quinze cents exemplaires pour vente au Canada et qu'il ne se trouva pas un éditeur canadien pour en faire une réimpression locale. Des cas de ce genre, sans aucun doute, se produisent dans tous les pays, et l'histoire des grandes littératures abonde en exemples aussi regrettables. Au Canada comme dans plusieurs autres pays, l'éditeur peut souvent se plaindre à bon droit que l'écrivain manque de souffle, alors que celui-ci peut lui rétorquer légitimement que très souvent l'éditeur manque de perspicacité.

 6.   Ce sont cependant des empêchements d'ordre matériel qui pèsent le plus lourdement sur l'édition canadienne. Un pays aussi vaste et une population aussi largement dispersée contribuent à maintenir, à un niveau très élevé, les frais de publicité, de transport et de circulation des livres.

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Vingt-cinq libraires à peine, nous a-t-on rapporté, ne se trouvent pas dans l'obligation de vendre d'autres articles que des livres pour continuer leurs opérations. Comment veut-on, de surcroît, que les Canadiens, qui habitent dans des centres de population trop limitée pour avoir une librairie, puissent acquérir l'habitude d'acheter des livres ? Il y a un minimum d'exemplaires de chacun des livres qu'elle publie, qu'une maison d'édition doit vendre, avant de faire le moindre profit. Un éditeur de langue française nous a rapporté que ce minimum est d'environ trois mille exemplaires en anglais et quatre mille en français. Il semble que seuls quelques bons romans publiés au Canada réussissent à dépasser annuellement ce chiffre critique.

7.   L'histoire de notre édition a connu une période pendant laquelle l'éditeur canadien, tout au moins celui de langue française, n'avait pas à se préoccuper de cette question de la vente minimum. Ce fut pendant la guerre, alors que l'importation de livres français étant pratiquement arrêtée, sauf pour quelques œuvres publiées à New-York et en Amérique du Sud, l'éditeur canadien-français dût prendre la relève de ses collègues de France et réimprimer massivement des manuels scolaires, des livres d'érudition, des ouvrages pour enfants et de grandes séries d'oeuvres contemporaines dont le Canada de langue française s'approvisionnait auparavant en France.

8.   Les statistiques qu'on nous a données sur ce point sont impressionnantes et elles doivent être interprétées avec précaution. Quoi qu'il en soit, la guerre a imprimé un essor extraordinaire à l'édition canadienne-française qui vendit ses produits sur 52 comptoirs étrangers. Mais dès la fin de la guerre, les choses se gâchèrent très vite, et l'on assista, à Montréal surtout, à une véritable épidémie de faillites par suite du retour graduel de l'édition française de France à des conditions normales de production et de vente à l'intérieur de la France et dans les pays acquéreurs de livres français.

9.   Dans les centres canadiens de langue anglaise, l'édition, qui n'avait pas connu le mouvement d'inflation qui se produisit dans Québec pendant la guerre, vit, au cours de la même période, montrer le chiffre de ses affaires selon une courbe qui suivait d'assez près l'augmentation générale de la production, des ventes et des profits dans tous les secteurs économiques. Et, à la fin de la guerre, elle n'accusa pas de recul très sensible. Il semble qu'elle se soit stabilisée à un niveau plus élevé que celui d'avant-guerre, mais qui n'est pas encore suffisamment élevé, au dire de nos éditeurs de langue anglaise. On nous a rapporté que les lecteurs de langue anglaise lisent trois livres américains ou britanniques contre un livre canadien (3). La comparaison qu'on pourrait faire entre le nombre de livres publiés en France même et le nombre de livres français édités au Canada, qui sont respectivement lus par les Canadiens de langue française, serait probablement encore plus défavorable pour l'édition française au Canada.

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10.   Les éditeurs qui ont foi en leur métier cherchent à stimuler la circulation des livres par divers moyens. Un Français, vivant au Canada depuis quelques années, a même lancé, sous le nom de Cercle du Livre de France, un « Book of the Month » français. Cette organisation assure plus de 5,000 lecteurs (y compris les abonnés américains) à au moins quatre livres français par année, dont un livre canadien-français, puisque la direction du Cercle s'est engagée à publier à ses frais le roman canadien couronné au Concours annuel qu'elle a institué. L'éditeur, qui a pris cette initiative, a soutenu, dans un mémoire qu'il nous adressait, que l'institution d'un Cercle du livre canadien, qui ne publierait que des livres canadiens, donnerait à l'édition cette impulsion régulière dont elle a tant besoin. On nous a représenté aussi qu'il y aurait avantage pour un éditeur de langue anglaise à se joindre à un éditeur de langue française dans une telle entreprise, de façon que les abonnés de ce Cercle du livre canadien puissent avoir l'avantage de lire nos meilleurs écrivains des deux langues, soit directement dans leur langue, soit en traduction. Nous déduisons des vues qui ont été exprimées sur ce sujet que cette initiative apporterait un complément souhaitable à ce réseau d'« American Book Clubs » qui existe chez nous. Les Canadiens auraient ainsi l'occasion de se grouper en un cercle de lecteurs dont le principal but serait la diffusion des meilleurs livres publiés ici.

11.   La popularité, au Canada, de la formule des « Book Clubs » américains, tout en contribuant à répandre le goût de la lecture, nous a-t-on rapporté lors de nos séances de Toronto, semble avoir des conséquences nuisibles sur la vente du livre canadien. Nous avons appris d'un délégué d'éditeurs qu'il y a environ dix-huit organisations américaines de ce genre qui ont des abonnés au Canada. Tout en reconnaissant les mérites des cercles américains du livre, on nous a signalé deux des principaux désavantages qu'ils représentent pour l'éditeur et le lecteur canadien. D'abord, l'introduction des «  Book Clubs » ici a détruit le système des comptoirs postaux de livres que des libraires canadiens avaient mis sur pied, il y a vingt-cinq ans, à l'usage de leurs compatriotes, et qui faisaient de bonnes affaires avant l'arrivée des " Book Clubs ". En second lieu, la direction de ces " Book Clubs " étant américaine, et sa clientèle composée presque entièrement de lecteurs américains, on ne peut s'attendre à ce qu'on tienne compte des goûts et des besoins particuliers des Canadiens dans le choix des livres.

12.   Les associations d'éditeurs ont présenté, pour leur part, bien des suggestions de réforme que nous tenons à reproduire. On veut que le gouvernement fasse disparaître cette taxe de 8% qui frappe l'édition des livres aussi bien que leur importation et qui ne s'applique pas aux revues et journaux. Cette réforme abaisserait le prix de vente du livre importé. On demande l'institution, au Canada, d'un tarif postal préférentiel, pour les livres, comme il en existe ici pour les revues, périodiques et journaux

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et comme il en existe pour les livres aux États-Unis et en France. Les éditeurs voudraient aussi que le taux de transport du livre par messageries soit revisé, dans le cas de nos deux réseaux de chemins de fer, afin de réduire le coût de la circulation des livres à tous les points de la filière qui va de l'éditeur au lecteur en passant par l'imprimeur et le libraire. Des tarifs spéciaux de transport aérien du livre pourraient aussi être envisagés. Enfin les éditeurs nous ont représenté que le gouvernement canadien devrait exiger la réciprocité dans l'échange commercial des livres avec tous les pays étrangers, particulièrement avec les pays de langue française et anglaise. Voilà autant de mesures qui aideraient l'édition canadienne à trouver son équilibre et à le conserver. On nous a dit qu'elles étaient d'autant plus urgentes que la survivance et le progrès de l'édition canadienne sont une condition essentielle d'existence pour notre littérature.

*Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé.

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